vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, opéra. OPÉRA GRAND AVIGNON, le 28 février 2025. PUCCINI : La Bohème. Diego Godoy, Gabrielle Philiponet… Frédéric Roels (mise en scène)

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Soulignons tout d’abord la direction détaillée, vive, très précise du chef en fosse (Federico Santi) dont le sens du relief accuse chaque temps fort de l’action [chez Momus, dernier tableau de la mort de Mimi sous la mansarde, … ], tout en soignant la suggestion des moments plus atmosphériques : début de la Barrière d’enfer, ou le court intermède du dernier tableau, le plus tragique, celui de la mort de Mimi.

 

L’Orchestre national Avignon Provence déploie un spectre superlatif de nuances et de phrasés qui proposent de la partition puccinienne, une lecture passionnante à suivre grâce à son raffinement pointilliste. Le sens du détail qui n’affecte en rien le souffle dramatique global, permet de saisir, festivals de couleurs et d’accents tenus, toutes les options [cinématographiques] de l’orchestration de Puccini… Entre autres, la partie de clarinette qui ponctue chaque séquence amoureuses entre le poète et sa muse Mimi, à commencer par l’impulsion première de leur rencontre à la bougie (Acte I) ; c’est aussi la vibration particulière, continue, profonde de la clarinette basse qui dans le dernier tableau fatal, fait retentir la tension tragique, jusqu’au souffle désormais compté de la grisette condamnée. Vivacité nerveuse et expressivité riche en nuances défendues d’un bout à l’autre produisent une parure orchestrale constamment engagée, expressive.

 

Saluons ensuite la mise en scène claire, esthétique dans sa sobriété qui jouant sur l’économie des décors et la circulation fluide du plateau met l’accent sur la psychologie de chaque individu ;  d’autant que, très fidèle au roman source de Murger, les héros de Puccini sont jeunes, ardents, prompts au jeu, à la dérision facile pour mieux tromper la misère qui affecte leur jeunesse.  Tout cela est parfaitement compris et exprimé dans le spectacle réglé par le maître des lieux, Frédéric Roels, directeur de l’Opéra Grand Avignon.  Cette clarification scénique qui se concentre sur l’essentiel permet une parfaite lisibilité des situations, des étagements comme par exemple, dans la tenue des chœurs de l’acte II [chez Momus] en particulier, détaillant les groupes simultanés : clients du café, foule des passants, chœur des enfants amusés par le marchand de jouets, Parpignol, et bien sûr le groupe de Rodolfo et Mimi (à jardin), opposé à celui de Musetta et son protecteur (Alcindoro, à cour)… LIRE aussi notre entretien avec Frédéric Roels à propos de sa mise en scène de La Bohème de Puccini (février 2025)

 

 

Sobriété, intensité, esthétisme

En fond de scène une composition élégante et aérienne à partir de fenêtres tandis qu’au devant le jeu clair et naturel des chanteurs explicite les enjeux de l’action. Le travail du metteur-en-scène s’avère profitable à l’incarnation scénique car chaque chanteur plutôt que de s’approprier son rôle, s’ingénie dans son chant et sa gestuelle spécifiques à transmettre ce qu’il comprend et entend exprimer de son personnage.
Telle conception tout en nuances (présentée dans le livret programme distribué avant la représentation) enrichit la personnalité des chanteurs en action, comme la profondeur de leur jeu : c’est particulièrement bénéfique et convaincant dans la fameuse scène d’exposition au I, où tout en se dévoilant l’un à l’autre, Rodolfo puis Mimi offre aux spectateurs chacun, un air-portrait, emblématique désormais ; pour Rodolfo : « Qui son ? Sono un poeta, … » ; pour Mimi : « Si, mi chiamano Mimi… ».

Aucun des chanteurs ne déçoit. L’homogénéité de la distribution qui renforce la vraisemblance globale par sa juvénilité opportune, est manifeste. Ainsi dans le rôle de Mimi, GABRIELLE PHILIPONET gère son rôle dans la continuité, déployant une couleur intense et tragique toujours juste ; distinguons aussi le Marcello de GEOFFROY SELVAS, tout aussi fin et précis, bouleversant confident de Rodolfo qui auprès de lui, trouve une épaule compréhensive. Même enthousiasme pour la Musetta de CHARLOTTE BONNET : du mordant, un aplomb vocal clair et percutant capable de provoquer Marcello, avec ce soupçon de legato enivré qui lui permet de réussir son air de séduction fameux chez Momus [valse : « Quando me’n vo »].

 

 

Diego Godoy, flamboyant et très juste Rodolfo

Gabrielle Philiponet (Mimi) et Diego Godoy (Rodolfo) © Studio Delestrade – Avignon

 

Véritable révélation de la soirée, le ténor chilien DIEGO GODOY réussit chacune des scènes capitales de l’opéra : le duo amoureux avec Mimi / Lucia au I ; ses aveux déchirants face à la maladie de Mimi à Marcello [instant d’une rare profondeur émotionnelle à l’opéra, alors devant l’auberge de la Barrière d’enfer] ; et aussi le sublime duo viril sur l’illusion amoureuse et la fragilité de leur condition, entre le même Marcello et Rodolfo : feu vocal, franchise ardente, aigus puissants, ronds, naturels, lumineux… Accordé à un orchestre complice, le ténorrissimo fait sensation, offrant le grand vertige lyrique Puccinien (dans une salle idéalement taillée pour une telle expérience) ; en outre, le chant du ténor accordé avec le timbre du baryton, souligne que la partition pour tragique qu’elle soit, brosse surtout le portrait d’une jeunesse sacrifiée sur l’autel de la misère parisienne, … cette Bohème ivre de désir et d’une imagination débordante, hélas rattrapée par la morsure de la pauvreté crasse et de la maladie.
Dans le choix des [nombreuses] scènes collectives, soulignant aussi la fraternité et l’esprit du jeu qui unissent la communauté des artistes, Puccini brosse d’abord un portait social, focusant sur un milieu humain et artistique qui coûte que coûte contre l’adversité ruinant leur existence, décident solidairement de s’en sortir. Le sujet central est bien le combat contre la fatalité… Une forme de résilience qui a toute la tendresse du compositeur en particulier dans sa riche parure orchestrale.  L’idylle amoureuse de Rodolfo et Mimi n’étant que l’un des éléments qui en accusent la brûlante et inéluctable tragédie. Une production en tout point réussie, orchestralement vivante et passionnante, incarnée avec intensité et justesse. Les deux dates suivantes (dim 2 puis mardi 4 mars 2025) sont incontournables. A voir absolument.

 

Geoffroy Salvas (Marcello) et Charlotte Bonnet (Musetta) © Studio Delestrade – Avignon

 

 

Chez Momus © Studio Delestrade – Avignon

 

 

 

Diego Godoy et Gabrielle Philiponet © Studio Delestrade – Avignon

 

 

 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. OPÉRA GRAND AVIGNON, le 28 février 2025. PUCCINI : La Bohème. Frédéric Roels (mise en scène)

Mimì : Gabrielle Philiponet
Rodolfo : Diego Godoy
Musetta : Charlotte Bonnet
Marcello : Geoffroy Salvas
Schaunard : Mikhael Piccone
Colline : Dmitrii Grigorev
Alcindoro / Benoît : Yuri Kissin

Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Orchestre national Avignon-Provence

Frédéric Roels, mise en scène
Federico Santi, direction

Toutes les photos du spectacle © Studio Delestrade-Avignon / Opéra Grand Avignon 2025

Photo – premier et dernier visuel / programme © classiquenews25

 

 

 

 

agenda

Réservez vos places pour les 2 dates suivantes / La Bohème de Puccini par Frédéric Roels à l’Opéra Grand Avignon : dim 2 et mardi 4 mars 2025 – Plus d’infos sur le site de l’Opéra Grand Avignon : https://www.operagrandavignon.fr/la-boheme-puccini#

 

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