Lille, OpĂ©ra. Cavalli: Xerse. Du 2 au 10 octobre 2015. Xerse de Cavalli dĂ©montre l’ampleur du gĂ©nie cavallien, capable de solennitĂ©, de raffinement, de sensualitĂ© mais aussi de surenchĂšre (mesurĂ©e) dans la fusion des registres poĂ©tiques : comique, tragique et pathĂ©tique. L’hĂ©roĂŻsme y convoite le cynisme et la comĂ©die aime jouer des quiproquos voire des travestissements trompeurs d’une dĂ©licieuse confusion. On la compris : Cavalli, digne disciple de Monteverdi avec Cesti poursuit l’Ăąge d’or de l’opĂ©ra vĂ©nitien : c’est d’ailleurs Ă sa source que naĂźtra en 1673, l’opĂ©ra français grĂące au gĂ©nie assimilateur de Lulli. Xerse, opĂ©ra historique d’aprĂšs HĂ©rodote, fait suite aux opĂ©ras de maturitĂ© propre aux annĂ©es 1640… tels Didone (1641), Egisto (1643), L’Ormindo (1644), La Doriclea (1645) surtout le mythique Giasone de 1649 qui prĂ©lude Ă l’accomplissement esthĂ©tique des annĂ©es 1650 dont fait partie et de façon Ă©clatante voire spectaculaire Xerse, composĂ© comme Erismena et La Statira en 1655. AnnĂ©e fĂ©conde qui poursuit la poĂ©tique multiple et furieusement sensuelle de La Calisto (1651). Tous ces ouvrages ont Ă©tĂ© jadis dĂ©voilĂ©s par RenĂ© Jacobs, dĂ©fricheur visionnaire s’il en est, que les nouveaux champions de l’approche baroqueuse entendent poursuivre aujourd’hui ; ainsi l’argentin Leonardo Garcia Alarcon et son Ă©pouse, Mariana Flores (lire notre annonce du coffret HĂ©roĂŻnes cavaliennes Ă©ditĂ© chez Ricercar en septembre 2015, rĂ©alisation CLIC de classiquenews). L’ouvrage a Ă©tĂ© jouĂ© devant la Cour de France Ă l’initiative de Mazarin, amateur d’opĂ©ra italien. Le commanditaire soucieux de plaire Ă l’audience française, commande aussi des ballets au jeune Lulli.

L’opĂ©ra vĂ©nitien Ă Paris (1660)
DĂ©jĂ avant Ercole Amante, nouvel ouvrage composĂ© pour le mariage du jeune Dauphin futur Louis XIV, Xerse est un opĂ©ra de Cavalli prĂ©sentĂ© devant la Cour de France. L’ouvrage a Ă©tĂ© composĂ© en 1654 et donc reprise Ă Paris en 1660, soit 6 annĂ©es aprĂšs sa crĂ©ation vĂ©nitienne, dans la Galerie d’Apollon du Louvre. Comment la figure du roi de Perse, qui entend vaincre et soumettre AthĂšnes inspire-t-elle les acteurs de cette nouvelle production ? RĂ©ponse le 2 puis jusqu’au 10 octobre 2015.
Le livret signĂ© de Nicolo Minato renforce la puissante imagination théùtrale de Cavalli : Minato a Ă©crit pour Cavalli pas moins de 8 drames musicaux : Orimonte, Xerse, Artemisia, L’Antioco, Elena -rĂ©cemment rĂ©vĂ©lĂ© au festival d’Aix 2013 et sujet d’un somptueux dvd Ă©ditĂ© chez Ricercar-, Scipione l’Africano, Mutio Scevola, Pompeo Magno. S’il est surtout inspirĂ© par l’Histoire (et les chroniques d’HĂ©rodote), Minato, qui succĂšde au premier librettiste de Cavalli (Faustini dĂ©cĂ©dĂ© en 1651), ne partage pas la mĂȘme conscience littĂ©raire que l’inĂ©galable Busenello, librettiste de Moneverdi et pour Cavalli de Didone, Giulio Cesare, Statira). Minato est surtout un dilettante, avocat de son mĂ©tier qui flatte surtout l’ouĂŻe des spectateurs moins stimule leur intellect. Avec le temps, Minato privilĂ©gie surtout les airs et les formes formĂ©es, plutĂŽt que ce recitatif libre et ample, proche de la parole qui avait fini par lasser le public vĂ©nitien. Ses hĂ©ros Ă l’inverse de l’effeminato pervers passionnĂ© Nerone ou Giasone, affirme une maĂźtrise des passions nouvelle, qui augure de l’esthĂ©tique mĂ©tastasienne au siĂšcle suivant, celle du hĂ©ros vertueux et moral, clĂ©ment et compatissant. En 1669, Minato rejoint la Cour de Vienne pour y Ă©crire encore plus de 20 livrets. Trait propre Ă Cavalli et sa sensibilitĂ© spĂ©cifique pour exprimer les passions humaines, le profil d’Adelante s’affirme aux cĂŽtĂ©s du hĂ©ros vainqueur et conquĂ©rant : la jeune femme y dĂ©veloppe une langueur Ă©motionnelle irrĂ©sistible en soupirant Ă l’Ă©vocation de celui qu’elle aime sans retour, ArsamĂšne, le frĂšre de Xerse… (Acte II, scĂšne 18). C’est elle qui incarne les vertiges d’un cĆur impuissant et douloureux : ses airs sont les plus dĂ©sespĂ©rĂ©s et le plus sensuels, quand triomphe dĂ©terminĂ©s et fidĂšles l’un Ă l’autre, Romida et ArsamĂšne, le couple des amants insĂ©parables. Face Ă ce modĂšle amoureux, le roi lui-mĂȘme s’inflĂ©chit et de raison Ă©pouse celle qui lui est fidĂšle, Amastre.
RenĂ© Jacobs lâavait enregistrĂ© en 1985 en un album aujourdâhui non rééditĂ©. Xerse de Cavalli a marquĂ© lâhistoire de lâopĂ©ra en France : Mazarin en demande une reprise Ă Paris pour le mariage du jeune Dauphin, le futur Louis XIV en 1660. Devant la Cour de France, lâouvrage est réécrit et adaptĂ© au goĂ»t français : le rĂŽle titre nâest plus chantĂ© par un castrat mais une voix virile, telle que lâaime lâaudience gauloise : un baryton. Car le hĂ©ros de lâaction câest Ă©videmment le Roi.
Lille, Opéra
Xerse de Cavalli
5 représentations
Du 2 au 10 octobre 2015
Nouvelle production
Emmanuelle HaĂŻm, direction
Guy Cassiers, mise en scĂšne
Maud Le Pladec, chorégraphie
Musique de Francesco Cavalli (1602-1676)
Livret de Nicola Minato (revu par Francesco Buti)
Ballets – Musique de Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Direction musicale: Emmanuelle HaĂŻm
Mise en scĂšne: Guy Cassiers
Décors et costumes: Tim Van Steenbergen
Chorégraphie: Maud Le Pladec
Vidéo: Frederik Jassogne
LumiĂšres: Maarten Warmerdam
Dramaturgie: Willem Bruls
ConseillĂšre musicologique: Barbara Nestola
Avec
Xerse: Ugo Guagliardo
Arsamene: Tim Mead
Ariodate: Carlo Allemano
Romilda: Emöke Barath
Adelanta: Camille Poul
Eumene Emiliano: Gonzalez Toro
Elviro: Pascal Bertin
Amastre: Emmanuelle de Negri
Aristone: Frédéric Caton
Le Gardien: Pierre-Guy Cluzeau (figurant)
Le Concert dâAstrĂ©e
Compagnie Leda
VOIR aussi notre grand reportage sur l’atelier vocal dĂ©diĂ© Ă l’interprĂ©tation du rĂ©citatif dans l’opĂ©ra français et italien du XVIIĂšme siĂšcle
Xerse version 1660 Ă l’OpĂ©ra de Lille.Â
Ce que nous pensons de la production. C’est un vrai dĂ©fi de jouer la reprise de Xerse Ă Paris. L’ouvrage vĂ©nitien de Cavalli créé Ă Venise en 1654 est un tout autre opĂ©ra adapté et reformatĂ© au goĂ»t français quand il est jouĂ© au Louvre en 1660 pour le mariage du jeune Louis XIV; c’est mĂȘme un nouvel ouvrage, avec des transformations notables comme le changement de tessiture pour le rĂŽle titre (baryton plutĂŽt que contre tĂ©nor), surtout nouvelle structure en 5 actes, disparition des rĂŽles comiques (mĂȘme si le suivant et confident du roi Perse a conservĂ© son caractĂšre bouffon qui en fait un double sarcastique cynique et mordant du pouvoir), surtout intĂ©gration des ballets dans le goĂ»t français signĂ©s du proche de Louis XIV, le florentin Lulli.

Le spectateur moderne peut mesurer Ă loisirs le fossĂ© des esthĂ©tiques italienne et francaise : intercalĂ©s Ă la fin de chaque acte, ces ballets jouĂ©s sur un autre diapason que l’orchestre vĂ©nitien tranchent nettement par leur vivacitĂ© avec la lyre si sensuelle du VĂ©nitien : dĂ©jĂ l’affirmation de cette folle insolence crĂ©ative dont rafole le jeune monarque danseur car il le divertit. La confrontation est passionnante et souligne la forte identitĂ© des maniĂšres ici associĂ©es : en rĂ©alitĂ© plus juxtaposĂ©es que vraiment fusionnĂ©es mais qu’importe, sur le modĂšle importé vĂ©nitien, Lulli prĂ©sente ses superbes et facĂ©tieux ballets : il saura puiser dans cette totalitĂ© Ă©clectique mais fascinante de 1660, les composantes de sa future tragĂ©die en musique inaugurĂ©e 13 ans plus tard avec Cadmus et Hermione. Emmanuelle HaĂŻm emporte ce projet ambitieux malgrĂ© la multiplicitĂ© des dĂ©fis et des contraintes techniques inouĂŻes (faire jouer deux orchestres diapasons diffĂ©rents avec mis en espace spĂ©cifique : centralisĂ© autour de son clavecin pour le continuo vĂ©nitien, éclatĂ© en deux groupes distincts aux deux extrĂ©mitĂ©s de la fosse (cordes Ă jardin, flĂ»tes et hautbois Ă cour). La chef rĂ©vĂšle et le profil profond du hĂ©ros trop naĂŻf et maladroit dans sa relation aux autres confrontĂ© dans le dĂ©dale d’un labyrinthe amoureux au cynisme du pouvoir associant devoir et sentiment. La torride sensualitĂ© du rĂ©citatif cavallien Ă la quelle rĂ©pond en seconde partie (actes IV et V) l’Ă©mergence d’airs plus fermĂ©s (composante propre au Cavallien le plus mĂ»r) affinant davantage la solitude douloureuse de chaque protagoniste se dĂ©voilent ainsi Ă Lille contrepointant avec le rire solennel d’un Lulli jeune et rafraĂźchissant. C’est un spectacle dont le cohĂ©rence convainc, dramatiquement unifiĂ© dans la rĂ©alisation du flamand Guy Cassiers qui en plaçant l’action dans la galerie d’Apollon du Louvre son lieu de crĂ©ation originelle, rĂ©tablit un parallĂšle pertinent entre le destin sur scĂšne de Xerse, son mariage de raison final (Ă©pousant Amastre plutĂŽt que Romida), et le mariage de Louis XIV, occasion de cette confrontation Lulli / Cavalli. La reprĂ©sentation de Xerse Ă Paris en 1660 est d’autant plus dĂ©cisive qu’outre sa participation Ă l’Ă©closion du futur opĂ©ra français baroque, il s’agit aussi de la premiĂšre reprĂ©sentation du souverain sur scĂšne… de sorte que nous sommes alors Ă l’amorce du mythe lyrique de Louis XIV ensuite gĂ©nĂ©reusement explicitĂ© et prĂ©cisĂ© dans les opĂ©ras Ă venir de Lully devenu surintendant de la musique du Roi. Production Ă ne pas manquer jusqu’au 10 octobre 2015 Ă l’OpĂ©ra de Lille.
XERSE de CavalliÂ
Synopsis
Le Roi perse Xerse est en campagne contre la ville dâAthĂšnes. Il stationne avec ses armĂ©es dans la ville amie dâAbydos, sur la rive orientale du dĂ©troit de lâHellespont, juste en face de la rive grecque. L’action traitĂ©e par Cavalli et son librettiste Minato dĂ©voile la rĂ©sistance d’un seul couple amoureux Arsamene le frĂšre du roi Xerse et la belle d’Abydos, Romilda. Contre eux se dresse Xerse qui veut Ă©pouser l’amante de son frĂšre, mais aussi Adelante, la soeur de Romilda qui est tombĂ©e amoureuse d’Arsamene. Heureusement survient la belle princesse de Suse, Amastre qui sous le dĂ©guisement d’un homme, entend reconquĂ©rir l’homme de son coeur, Xerse. De fait touchĂ© par la dĂ©termination d’Amastre, Xerse renonce Ă Romilda et Ă©pouse Amastre. Le couplĂ© initial Ă©prouvĂ© Romilda / Arsamene confirmĂ©, a vaincu. Dans la version parisienne prĂ©sentĂ©e Ă Lille, tous les ballets de Lulli sont jouĂ©s par un orchestre diffĂ©rent (diapason diffĂ©rent) Ă la fin de chaque acte).
PREMIERE PARTIE
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Acte I
Pendant que Xerse confie Ă lâombre dâun platane ses Ă©tats dâĂąme avant lâassaut, son frĂšre Arsamene fait sa cour Ă une habitante dâAbydos, la belle Romilda, qui lâaime en retour. Interrompant l’entretien, Xerse, qui a seulement entendu la voix de Romilda, dĂ©cide sur le champ de lâĂ©pouser lui-mĂȘme. Le roi et son frĂšre sont ainsi deux rivaux amoureux.
Pour Adelante, la soeur de Romilda, la passion subite du roi est une aubaine : si Xerse pouvait Ă©pouser Romilda, elle-mĂȘme aurait enfin le champ libre pour se rapprocher dâArsamene quâelle aime en secret. Mais quand, accompagnĂ© dâEumene son fidĂšle confident, Xerse vient offrir sa main et son trĂŽne Ă Romilda, la jeune fille le repousse fermement, fidĂšle Ă ses sentiments pour le frĂšre du roi. Xerse use alors de son pouvoir royal pour bannir son propre frĂšre et rival, mais Romilda demeure inflexible. La princesse du royaume de Suse, Amastre, semble une promise plus digne du Roi Xerse. Câest en tout cas ce quâelle-mĂȘme imagine : elle vient, dĂ©guisĂ©e sous des vĂȘtements dâhomme et accompagnĂ©e dâAristone, pour tenter de faire la conquĂȘte de Xerse.
Acte II
Sous prĂ©texte de gratifier ses alliĂ©s, Xerse dĂ©clare officiellement quâil souhaite remercier la ville dâAbydos, en donnant un époux de sang royal Ă la jeune Romilda. Sâil pense satisfaire ainsi sa nouvelle passion, la dĂ©claration peut aussi ĂȘtre mal interprĂ©tĂ©e : son frĂšre rival, Arsamene, pourrait ĂȘtre lui aussi un Ă©poux de lignĂ©e royale. Chacun comprenant la situation selon ses intĂ©rĂȘts et ses sentiments, la confusion rĂšgne pour savoir qui Ă©pousera Romilda. Amastre, toujours dĂ©guisĂ©e en homme, demeure persuadĂ©e dâĂȘtre toujours lâĂ©lue du roi. Arsamene confie alors Ă Elviro, son page, une lettre destinĂ©e Ă Romilda, sa bien-aimĂ©e. Les deux soeurs mettent Ă jour leur rivalitĂ© amoureuse et en viennent Ă se dĂ©clarer la guerre.
Acte III
La lettre dâArsamene pour Romilda est interceptĂ©e par Adelanta, ce qui achĂšve de semer la confusion. Elle lâutilise pour persuader Xerse de lui donner pour Ă©poux son frĂšre Arsamene. Xerse y voit lâoccasion de renouveler sa demande Ă Romilda. Forts de leurs sentiments, les deux amants Romilda et Arsamene ne cĂšdent pas aux propositions du roi, au risque de dĂ©clencher sa fureur et de mettre leur vie en danger.
DEUXIEME PARTIE
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Acte IV
La princesse Amastre manque Ă plusieurs reprises dâĂȘtre dĂ©couverte, malgrĂ© ses habits dâhomme, en tentant dâapprocher Xerse. Adelanta avoue avoir menti au roi et au page Elviro, croyant bien faire⊠Alors que Romilda et Arsamene sâentretiennent, Xerse survient et trouble lâharmonie entre les deux amants. Il demande Ă Romilda sa main : celle-ci, cherchant Ă gagner du temps, lui rĂ©pond humblement quâil doit la demander Ă son pĂšre. Xerse promet Ă ce dernier un Ă©poux de sang royal et envoie Eumene apprĂȘter la future reine. Devant les refus rĂ©pĂ©tĂ©s de Romilda dâaccepter ce titre de reine, Xerse, pris de fureur, condamne Ă mort son rival : son propre frĂšre !
Acte IV
PrĂ©venu du danger quâil court, Arsamene retrouve Romilda et quand son pĂšre les surprend, il comprend que le royal Ă©poux promis Ă©tait bien le frĂšre du roi. Xerse, se voyant devancĂ©, exige dans sa colĂšre quâArsamene tue Romilda. Câest la princesse Amastre qui sâinterpose, et le roi reconnaĂźt enfin sous ses habits dâhomme la princesse de Suse, sa promise. Ămu par son courage, il consent Ă lâĂ©pouser et Ă pardonner aux deux amants, Arsamene et Romilda, avant de cĂ©lĂ©brer leur mariage.