La saison lyrique nantaise s’ouvre au Théâtre Graslin avec le tout dernier opéra de Hector Berlioz, Béatrice et Bénédict. Opéra d’une gaieté pompière rarement produit de nos jours, il est défendu ce soir par le chef d’orchestre Sascha Goetzel à la direction de l’Orchestre National des Pays de la Loire. La rayonnante distribution orbite autour des rôles titres interprétés par la soprano Marie-Adeline Henry et le ténor Philippe Talbot. La scénographie, les costumes et la mise en scène sont assurés par Pierre-Emmanuel Rousseau.
Un chant de cygne, comique
Lorsque le Casino de Baden-Baden passe commande à Berlioz pour une comédie, le compositeur romantique français par excellence s’inspire d’une de ses pièces préférées de Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien. Il créé alors un opéra-comique stylistiquement très proche du répertoire bouffe italien (son unique tentative dans ce genre), où l’intrigue est très resserrée par rapport à l’originale et dont le point essentiel est l’évolution progressive des attitudes des protagonistes : de la moquerie au mariage ! Le parti pris scénique de Pierre-Emmanuel Rousseau et son équipe artistique est de transposer l’action aux années 80, dans une Sicile kitsch imaginée en mode comédie musicale stéréotypée, où il n’est plus question de guerre sainte entre chrétiens et musulmans, mais de querelles mafieuses entre familles rivales.
Dès la grande ouverture instrumentale, brillante et gaie, nous pouvons retrouver les reflets du génie musical du compositeur. L’interprétation par l’orchestre sous la baguette de Sascha Goetzel est tout simplement excellente ! C’est tout panache tout brio et un véritable kaléidoscope de couleurs orchestrales chatoyantes. La distribution francophone a plusieurs occasions de briller dans la palette expressive de Berlioz mise au service d’une comédie « légère ». Le trio masculin du 1er acte « Me marier ? Dieu me pardonne » est mi-comique, mi-spirituel dans la superbe interprétation de Philippe Talbot, Frédéric Caton et Marc Scoffoni, respectivement Bénédict, Don Pedro et Claudio respectivement. Au niveau dramatique, la pièce de résistance est certainement l’air grandiose de Béatrice au 2ème acte « Il m’en souvient », défendu avec une intensité saisissante par la soprano Marie-Adeline Henry, virtuose.
Le moment le plus beau de la partition revient aux personnages secondaires de Héro et d’Ursule : le duo qui clôt l’acte 1 « Nuit sereine et paisible ». Dans cette merveille d’une indescriptible beauté lyrique, dans la lignée sublime de duos féminins de Haendel et Mozart, la soprano Olivia Doray et la mezzo Marie Lenormand sont superlatives. Ici, le désir d’amour et l’attente s’unissent à l’innocence et s’épanouissent, sous l’éclat du ciel étoilé, en un nocturne envoûtant, palpitant, avec l’orchestre (surtout les vents, magnifiques) parfaitement accordé et tout à fait maestoso et beau dans l’expression des sentiments.
Les nombreux numéros pour l’ensemble sont délicieux, même si parfois nous avons l’impression que les artistes ne savent pas trop ce qu’ils sont en train de faire ou ce qu’ils devraient faire sur scène… Ce n’est pas entièrement insensé dans le cadre d’un cabaret fantasque plein de paillettes et de perlimpinpins, au fond. La prestation du Chœur d’Angers Nantes Opéra sous la direction de Xavier Ribes est excellente, les chanteurs prennent visiblement du plaisir dans les aspects drôles et effrénés de la production, et vocalement ils sont très en forme.
Un opéra rare à découvrir à Angers Nantes Opéra et à l’Opéra de Rennes jusqu’au mois de décembre 2023 : A l’affiche à Nantes au Théâtre Graslin les 15 et 17 octobre, à l’Opéra de Rennes les 12, 14, 16 et 18 novembre et au Grand-Théâtre d’Angers le 3 décembre 2023
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CRITIQUE, opéra. Nantes, Théâtre Graslin, le 11 octobre 2023. BERLIOZ : Béatrice et Bénédict. M. A. Henry, P. Talbot, M. Lenormand, O. Doray… Pierre-Emmanuel Rousseau / Sascha Goetzel. Photos (c) Bastien Capela.
VIDEO : Duo « nocturne » extrait de « Béatrice et Bénédict » de Berlioz