Déjà vue en… 2013 à l’affiche d’Angers Nantes Opéra, la production signée Mireille Delunsch confirme quasiment 10 années après… ses évidentes qualités : esthétisme, clarté, sobriété, efficacité. En nos temps de mal-scène, quand de nombreux metteurs en scène réécrivent le sens de l’action parfois à rebours de l’intention originelle, cette vision des Dialogues mérite assurément d’être reprise ; saluons Philippe Bellot, directeur général de l’Opéra de Massy, de l’avoir choisie pour amorcer sa nouvelle saison lyrique 2023 – 2024.
L’ampleur de la scène, les ressources techniques de la maison massicoise permettent de monter un tel spectacle dont l’impressionnante machinerie (de la guillotine) dévoilée dans le tableau final donne la mesure d’une production qui allie habilement réalisme et épure. Si les spectateurs découvrent la faucheuse infernale pleinement visible, son absence ensuite (car placée hors scène), tout en faisant entendare parfaitement le tranchant réaliser son action sanguinaire, souligne les vertus d’un spectacle exemplaire : onirisme, intensité, suggestion.
Épure onirique
& intensité tragique
Dans la fosse, le chef espagnol José Miguel Pérez-Sierra répond aux attentes : la direction est ample et précise, à la fois concentrée et expressive ; le maestro qui nous a dévoilé sa propre vision de la partition de Poulenc dans un récent entretien, obtient ce moelleux tragique propre à Poulenc. La sensualité de l’écriture le dispute en permanence à l‘expression du fatum, aux vertiges spirituels voire mystiques qui tiraillent la protagoniste Blanche dont la musique suit la trajectoire, de son cocon familial comme jeune fille noble à marier, à l’austérité âpre du Carmel où elle devient sœur Blanche de l’Agonie du Christ. Poulenc s’intéresse ainsi à la suite de Bernanos qui donne le sujet originel, à la place d’une jeune femme dans sa société ; son statut, son identité contre l’ordre du père qui veut la caser ; vis à vis de son frère qui épingle son imagination « malade » et s’obstine à ne voir en elle que son « petit lièvre » quitte à l’infantiliser. Marianne Croux ne manque ni de profondeur ni d’intensité pour ce personnage complexe et attachant.
Poulenc ajoute un autre rôle capital, déterminant dans la maturation spirituelle de Blanche, celui de Madame de Croissy, la vieille Prieure, figure non moins captivante et en fin de vie, et dont il fait, au moment de sa mort, une âme détruite, terrifiée par l’idée de mourir. La rencontre avec la Prieure puis le tableau de son agonie et de sa fin sont parmi les séquences de l’histoire de l’Opéra, les plus saisissantes, ici réalisées avec pudeur et dignité : Marie-Ange Todorovitch au début autoritaire voire impérieuse, exprime ensuite la fragilité d’un corps malade qui s’abandonne et délire ; elle exprime surtout l’angoisse et la panique d’une âme seule dans le noir absolu. La scène reste inoubliable.
Aux côtés de Blanche, saluons en particulier les chanteurs qui apportent le relief et l’épaisseur psychologique aux personnages qui l’entourent : le frère de Kévin Amiel, lui aussi sobre et juste ; Ahlima Mhamdi en Mère Marie de l’Incarnation, dotée d’une belle ardeur vocale (c’est apparemment la seule des Carmélites qui réussira à se soustraire à la mort) ; même crédibilité dramatique pour le père confesseur bientôt défroqué et fugitif d’Eric Huchet ; avouons notre déception pour la Seconde Prieure (Madame de Lidoine qui succède à la Croissy) : hélas, la voix et le chant de Patricia Ciofi ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils ont été, au point que l’orchestre couvre majoritairement ce qu’elle exprime. Distinguons surtout le chant angélique, clair, naturel et printanier de Sheva Tehoval dans le rôle de soeur Constance, double spirituel de Blanche mais en plus enjoué, en plus piquant, tout en n’ignorant rien de sa fin tragique (elle mourra jeune selon le rêve qu’elle raconte à Blanche). De surcroît, sa diction est excellente et son chant en conséquence, continument intelligible.
La production ajoute les chanteuses de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Massy, tout aussi engagées.
La saison lyrique commence de bien belle façon à Massy; le spectacle confirme le très haut niveau artistique de l’Opéra massicois, unique scène opératique au sud de Paris, qui souffle pendant cette nouvelle saison 2023 – 2024, ses 30 ans ! Photo : DR
Prochains rvs lyriques à l’Opéra de Massy :
La mélodie du bonheur de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II (Ars Lyrica, 15, 16 et 17 décembre 2023), Le Mariage forcé de Molière et Lully (Le Concert Spirituel, Hervé Niquet, 21 et 22 décembre 2023), The Fairy Queen d’Henry Purcell (Les Arts Florissants / Mourad Merzouki, 27 et 28 janvier 2024) : toutes les infos, les distributions sur le site de l’Opéra de Massy : https://www.opera-massy.com/fr/spectacles/copy_opera.html
LIRE aussi notre présentation de la production des Dialogues des Carmélites à l’Opéra de Massy, les 10 et 12 novembre 2023 : https://www.classiquenews.com/opera-de-massy-poulenc-dialogues-des-carmelites-marianne-croux-mireille-delunsch-jose-miguel-perez-sierra-les-10-et-12-novembre-2023/
LIRE aussi notre présentation de la saison 2023 – 2024 de l’Opéra de Massy, la saison des 30 ans : https://www.classiquenews.com/opera-de-massy-nouvelle-saison-2023-2024-les-30-ans/
LIRE aussi notre ENTRETIEN avec Xavier Adenot, directeur de la production de l’Opéra de Massy, à propos de la nouvelle saison 2023 – 2024 : https://www.classiquenews.com/opera-de-massy-la-nouvelle-saison-2023-2024-avec-xavier-adenot-directeur-de-la-production/
VIDÉO
https://www.youtube.com/watch?v=KXruFh_Wrlo
Spectacle donné au Théâtre Graslin de Nantes, en 2013.
Francis Poulenc (1899-1963) : Dialogues des carmélites, opéra en 3 actes et 12 tableaux sur un livret d’Emmet Lavery.
___________________________________