vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal (du 24 avril au 3 mai 2024). MOZART : Le Nozze di Figaro. J. S. Bou, P. Ciofi, R. Gleadow, H. Carpentier, E. Pancrazi… Vincent Boussard / Michele Spotti.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Au lendemain de l’annonce de la saison 24/25 de l’Opéra de Marseille, présentée conjointement par Maurice Xiberras et son (nouveau) directeur musical, le jeune et sémillant chef italien Michele Spotti, ce dernier dirigeait avec un talent peu commun (pour un chef aussi jeune) les célèbres “Noces de Figaro” de W. A. Mozart

 

 

Confiée à Vincent Boussard, dont le public phocéen avait plébiscité (par deux fois !) sa production de Hamlet d’Ambroise Thomas. On retrouve ce qui fait la triple marque de fabrique du metteur en scène français : respect pour les œuvres, beaucoup d’inventivité et un goût prononcé pour les images « léchées » et sophistiquées. Avec le fidèle Vincent Lemaire pour les décors, il a imaginé un espace fermé par trois hauts murs que surplombe des figurants issus du chœur, scrutant l’action qui se déroule en contre-bas, comme si les protagonistes étaient l’enjeu d’une expérimentation chère au XVIIIème siècle, ce qu’attestent leurs costumes (conçus par Boussard himself, aidé par Elizabeth de Sauverzac). Les principaux personnages arborent eux des tenues plus contemporaines, et l’on retient plus particulièrement les trois costumes portés tour à tour par la Comtesse : un  élégant tailleur noir, puis une robe de mariée blanche (celle de Susanna) et enfin une superbe robe de gala. Les trois immenses parois bénéficient des très belles projections de feuillages alla Watteau, et un superbe 4ème acte (dit du jardin) montrant des arbres blancs sur fonds noir, ce qui ajoute à l’atmosphère très raffinée du spectacle, par ailleurs magnifié par les subtiles éclairages de Bertrand Couderc. Enfin, la direction d’acteurs fourmille de belles trouvailles, même si certaines peuvent paraître “décalées”, et fait valoir la complexité de l’âme humaine et de ses écartèlements, avec juste ce qu’il faut de distance railleuse pour réconcilier les différents registres sur lesquels se place l’ouvrage.

Et comme d’habitude, l’on pouvait compter sur l’imparable flair artistique de Maurice Xiberras pour réunir une distribution de haute volée, homogène dans son excellence. Les deux couples principaux sont tout à fait remarquables. Si le primo uomo et la prima donna des Noces sont Figaro et Susanna, et non les nobles, en l’occurrence la Contessa et Il Conte Almaviva, ils le deviennent aussi ici par la force de leurs interprétations. Le génial (et géant) baryton canadien Robert Gleadow ne fait qu’une bouchée du rôle de Figaro, avec sa voix saine et puissante, superbement timbrée, que double un incroyable investissement scénique ! La Susanna de la soprano Hélène Carpentier est un bijoux de tendresse et d’humanité. Elle aussi est charmante et agile à souhait, que ce soit en solo dans le célèbre « Deh vieni, non tardar » au IV, ou dans les nombreux ensembles au cours des actes. 

La Contessa et Il Conte Almaviva sont interprétés par la grande Patrizia Ciofi et le non moins remarquable Jean-Sébastien Bou. Un duo rayonnant de prestance et de dignité, tout en étant profondément humains dans leur jeu d’acteur. La soprano toscane possède toujours la même aura, et nous nous réjouissons de voir enfin une Contessa “incarnée”, dont la dignité ne se limite pas à une quelconque conformité aux préjugés d’une certaine époque, mais qui est profonde et sincère, ancrée dans son humanité. L’on est ému dès son air d’entrée « Porgi Amor », tandis que le « Dove sono » s’avère fabuleux, un authentique moment de temps suspendu comme l’on n’en vit pas tous les jours à l’opéra.. Et elle rayonne toujours d’une lumière particulière, avec son célèbre timbre “voilé”, également dans les duos, comme dans celui du 3ème acte avec Susanna, véritable lettre d’amour en musique. L’Almaviva du baryton français Jean-Sébastien Bou est tout aussi remarquable, par sa beauté plastique qui s’accorde à la qualité de la production certes, mais surtout par l’engagement musical et théâtral dont il fait preuve. Sa voix pleine et large frappe les esprits, et il suscite inévitablement notre empathie – lors sa demande de pardon, genoux à terre, à la Comtesse dans le dernier acte.

Dans les nombreux rôles « secondaires », plusieurs chanteurs se distinguent, à commencer par le Cherubino de la jeune mezzo Eleonore Pancrazi, qui s’avère épatante scéniquement parlant, tandis que sa voix possède une certaine candeur au sein de son très beau timbre. De son côté, Amandine Ammirati campe une Barberina touchante et pétillante, qui séduit immédiatement, comme le Don Basilio sautillant et trépidant de Raphaël Brémard. Le temps et ses outrages portent atteinte à la prestation de Mireille Delunsch, dont on en a pas moins un immense plaisir à retrouver sur scène, la comédienne étant elle restée hors-pair, tandis que Frédéric Caton propose un Bartolo au chant et au jeu sans défaut. N’oublions pas les impayables, chacun dans leur respectif, Renaud Delaigue (Antonio) et Carl Ghazarossian (Don Curzio).

Mais le plus grand bonheur de la soirée, c’est la direction amoureuse et sensuelle de Michele Spotti qui le procure, en se montrant particulièrement attentif aux moindres inflexions du génie mozartien, avec un respect exceptionnel des demi-teintes, grâce à un Orchestre Philharmonique de Marseille exceptionnellement bien disposé à son égard, ce qui augure du meilleur pour leur collaboration. Grâce à un art subtil des gradations entre tempi vifs et tempi lents, et une attention constante portée au dialogue entre voix et instruments, le jeune milanais a, la soirée durant (3H45 de spectacle avec les deux entractes…), soutenu l’intérêt et placé les chanteurs dans un environnement toujours favorable.

Vivement de le retrouver en ouverture de saison prochaine (à partir du 26 septembre), dans Norma de Bellini – avec Karine Deshayes dans le rôle-titre et Enea Scala en Pollione !

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CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal (du 24 avril au 3 mai 2024). MOZART : Le Nozze di Figaro. J.S. Bou, P. Ciofi, R. Gleadow, H. Carpentier, E. Pancrazi… Vincent Boussard / Michele Spotti. Photos (c) Christian Dresse.

 

VIDEO : Trailer des « Noces de Figaro » de Mozart selon Vincent Boussard à l’Opéra de Marseille

 

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