Écrit en 1718 pour le théâtre privé du duc de Chandos, le masque « Acis et Galatéa » est aussi court que riche en contrastes et idéalement dramatique. C’est une quintessence du génie poétique de Haendel. Le pastoralisme, ce monde enchantée des bergers (et bergères), comme des nymphes séductrices inspire au Saxon, une action tragique et sensuelle, irrésistible. L’œuvre marque le point final de la riche collaboration entre Masques et le Festival Musique & Mémoire ; elle souligne combien aux côtés des œuvres sacrées et de l’orgue, l’opéra et la musique lyrique occupent une place de choix dans la programmation conçue par Fabrice Creux.
Ainsi Masques achève une résidence de 3 ans, féconde et inventive, Olivier Fortin ayant proposé à Fabrice Creux pour chaque édition de Musique & Mémoire des programmes de plus en plus audacieux et convaincants. Ce soir, le geste sûr, le sentiment épanoui, mesuré, chanteurs et instrumentistes réunis autour d’Olivier Fortin réalisent un nouvel accomplissement, de surcroît magnifié par le décor : le cul de lampe du somptueux orgue XVIIè de la Basilique Saint-Pierre Saint-Paul de Luxeuil-les-Bains. Un accord rare entre théâtre raffiné, bondissant, et l’équilibre ornementé d’une sculpture monumentale héritée du Grand Siècle. Tel accord fait aussi la totale réussite du Festival chaque année ciselé par un maître-concepteur, Fabrice Creux.
Dès la sinfonia d’ouverture, l’auditeur est porté par la battue du chef, un galop sensuel dès le début, nourrie par une direction vive, articulée, peine de feu et d’expressivité dramatique.
Le chef est de dos derrière les chanteurs mais chacun écoute, exprime, se met au diapason d’une lecture d’une exceptionnelle finesse sensuelle.
La direction est précise et ronde à la fois, elle avance en détaillant chaque accent s’il sert le sens et le caractère de l’action. Le Haendel de Masques respire, s’épanche à l’évocation du monde pastoral, doucement langoureux, des bergers et bergères. Il en exprime aussi la fragilité arcadienne bientôt malmenée… Il rugit ainsi face à la puissance jalouse et animale du géant Polyphème, ici plus sauvage et grossier que fin et habile séducteur.
En Rachel Redmond, soprano, Acis de grande classe, timbre resplendissant, la tendresse vaillante et enivrée de Galatée rayonne ; même enthousiasme pour l’Acis idéalement naturel et engagé d’Hugo Hymas ; on reste moins convaincus par le Polyphème trop brut rageur de la basse requise (Tomas Kral). Mais chacun dans les ensembles apporte dans un équilibre concerté, la couleur propre de sa voix, éclairant chaque chœur d’une belle épaisseur humaine.
C’est bien toute la saveur si riche (et troublante) du choeur qui ouvre la partie II, moment de bascule et l’un des sommets de la partition (« Wretched lovers »), prière collective, et en réalité ample lamento choral, d’essence tragique : Olivier Fortin y déploie une clarté polyphonique remarquable dont la texture et la densité harmonique expriment ce sentiment d’inquiétude, voire d’effroi qui traverse le monde pastoral des bergers, confronté à la démence meurtrière du géant primaire. Le texte dit tout et la musique en exprime la force des images : « Malheureux amants ! le destin est passé / Ce triste décret : aucune joie ne durera. / Misérables amoureux, abandonnez votre rêve! ».
Le tableau d’une tendresse démunie se charge rapidement d’une profondeur dramatique, un élan panique qui porte le sceau du génie haendélien. Les bergers expriment alors une clairvoyance sur le drame à venir, pressentiment d’une irrépressible énergie dont Olivier Fortin et son équipe réalisent avec précision et souffle, la vivacité expressive. Ils y suggèrent l’avancée irrépressible du monstre, agent du destin et de la tragédie finale : « Voici le monstre Polyphème ! Voyez les pas qu’il fait! ». Au mérite des interprètes, revient cet équilibre souverain entre drame et poésie, geste et intention. Magistral.
Masques / Olivier Fortin © Festival Musqiue et Mémoire, DR
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CRITIQUE, opéra. LUXEUIL-LES-BAINS, le 4 août 2024. 31è Festival MUSIQUE & MÉMOIRE. HAENDEL : Acis et Galatée (version Cannons, 1718). Rachel Redmond, Hugo Hymas, … Masques. Olivier Fortin, direction.
Dimanche 4 août 2024
Luxeuil-Les-Bains, basilique Saint-Pierre et Saint-Paul
Georg Friederich Händel (1685-1759) : Acis & Galatea
“Version de Cannons, 1718”
GALATÉE : Rachel REDMOND, soprano
ACIS : Hugo HYMAS, ténor
DAMON : Philippe GAGNÉ, ténor
POLYPHÈME : Tomas KRAL, baryton
Mezzo soprano (chœurs) Marie POUCHELON
Ensemble Masques
Julien Martin et Marine Sablonnière, flûtes à bec
Jasu MOISIO et Lidewei De Sterck, hautbois
Sophie GENT & Tuomo SUNI, violons
Mélisande CORRIVEAU, violoncelle
Benoît VANDEN BEMDEN, contrebasse
Olivier FORTIN, clavecin et direction
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