Virtuose du luth, pédagogue et instrumentiste recherché pour de nombreux ensembles sur instruments d’époque, Florent Marie présente à Musique & Mémoire, un programme d’autant plus convaincant qu’il est dans sa conception parfaitement adapté à l’esprit et à la dimension du lieu ; le très intimiste chœur roman de Melisey, joyau patrimonial dont la superbe acoustique est taillée idéalement pour le récital de soliste.
A 11h, le récital accueille le festivalier dans l’un des sites les plus secret et les plus authentiques des Vosges du Sud. Le programme fait un tour d’Europe, offrant un bel éventail des styles et des écritures à l’extrême fin du XVIè, soulignant aussi comment un même air passe d’un pays à l’autre, avec propre à la mode locale, une adaptation esthétique requise. Les Italiens reprennent selon leur propre esthétique les chansons françaises les plus célèbres…
Dans ce bain métissé où se déploie l’éloquente virtuosité du luthiste, une place privilégiée,- naturelle au regard de la grande qualité de son écriture, s’affirme peu à peu au profit du compositeur italien méconnu, TERZI, compositeur actif au carrefour des XVI et XVII èmes, à la verve jamais facile ni grossière ; au contraire, d’une faconde délicieusement madrigalesque totalement maîtrisée. Chaque développement mélodique et le choix des airs comme la construction harmonique, accents et effets expressifs semblent sous tendus par un texte dont il faudrait rétablir les paroles. L’articulation souple du luthiste permet de capter le raffinement de Terzi dans son approche personnelle. C’est bien ce luth princier et royal qui affirme ici une élégance et une délicatesse de haute intensité, instrument remarquable en couleurs comme en accent, aussi riche de ce point de vu que le langage parlé.
L’arche musicale ainsi tracée part du classicisme originel, celui de Francesco Da Milano (1497-1543), prince du XVI dont le Ricercar souligne la force poétique.
Les airs à la mode circulent et marquent autant l’imaginaire des composteurs ; ainsi les auteurs célébrés et largement diffusés : Alberto da Mantova (1500-1551) qui adapte selon son goût « Martin menoit son pourceau au marché » de Clément Janequin… Idem pour l’éditeur Pierre Phalèse (1510-1573) qui publie, et assure la diffusion européenne de l’air » je suis déshérité » de Pierre Cadéac.
On découvre alors dans tous son raffinement expressif l’art de Giovanni Antonio Terzi (avant 1570? – après 1620) révélé dans sa Canzona : s’affirme en particulier sa langueur mélancolique, d’une délicieuse suavité. Florent Marie a dédié un récent cd monographique au compositeur italien, démontrant combien il était justifié de le révéler ainsi.
Une même invention se déploie dans deux airs inspirés de danses [balli alemani, settimo et quarto, vers 1599] puis dans la Padovana [danse plus développée] ; cependant que la Toccata souligne cette verve vocale et même linguistique déjà évoquée qui s’impose comme l’une des principales singularités identifiant le dit Terzi. Elle va plus loin encore, affirmant même une surenchère linguistique et une vocalità décuplée d’une expressivité libérée qui force l’admiration.
Pour Musique & Mémoire,
Florent Marie
révèle le madrigalisme de Terzi
dont l’art s’affirme proche de la parole
Le madrigal d’après Philippe de Monte : » Ahí chi mi rompe il sono » se révèle là encore remarquablement articulé et riche de nuances, genre définitivement plus expressif que la chanson française contemporaine. Terzi dans ses diminutions idéalement ouvragées, suit le mot italien, recherche l’expressivité de Philippe de Monte qui est d’origine flamande. À côté de la Toccata le madrigal paraît plus économe et d’une austérité mesurée, plus sobrement suggestive ; une langueur suspendue, résolument secrète et allusive.
La succession des deux airs qui suit éclaire davantage tout ce qui séduit chez Terzi. Comment en partant d’une source française, il en déduit une nouvelle pièce pleine de délicatesse et de séduction madrigalesque. De la source, française, une Courante de Robert Ballard (1570?-après 1650), somptueuse dans sa mesure noble et classique, d’un équilibre solaire, d’une délicatesse extrême, toute en fluidité continue et qui demeure strictement dans son cadre chorégraphique, Terzi déduit une tout autre pièce, traitée de manière italienne et remarquablement madrigalisée. Le jeu du luthiste en éclaire la créativité capable de renouveler l’esprit de la danse du Français en en réinventant la syntaxe vers un flux dont la séduction rythmique et l’articulation de la mélodie sont très proches de la respiration du chant.
De l’air Italianisé de Giovanni Battista della Gostena (1558?-1593?), d’après » Suzanne ung jour » (Roland de Lassus), le luthiste exprime avec justesse la mélancolie sousjacente ; et une équation idéale entre le langage et le chant. Le luth semble parler et chanter dans ce Lassus des plus populaires. Généreux en découvertes, l’interprète dévoile également la manière de Simone Molinaro (ca.1565-1634) qui fut l’éditeur des madrigaux du poète maudit et assassin, Carlo Gesualdo [Passamezzo – gagliarda].
Enfin la dernière séquence fait la part belle aux anglais, auteurs remarquablement inspirés dont le raffinement mélodique fusionne avec une souplesse rythmique elle aussi nuancée, enivrante.
Contemporain de Terzi, John Dowland (1562?-1626) affirme une évidente facilité dans » A fancy » : phrasés naturels, nuances ciselées s’apparentent au chant dans une vocalité détaillée et naturelle. Cependant que les ultimes pièces du programmes : » Lady Hunsdon’s Puffe » et « Lady Clifton’s spirit » éclairent des sentiments moins naturellement manifestes chez les Italiens : l’humour et le burlesque, d’autant plus mordants qu’ils sont sous les doigts de plus en plus virtuoses de Florent Marie, portés par une vivacité expressive aussi enjouée qu’articulée. On prolongera les délices de ce programme en écoutant les cd : « Musique pour luth de Giovanni Antonio TERZI », et le plus récent, à paraître en septembre 2024 : « John DOWLAND : Sweet Melancholy » (2 cd, édités chez Carpediem records).
Récital de Luth par FLORENT MARIE, dans le Choeur roman de Melisey © classiquenews 2024
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CRITIQUE, concert. FESTIVAL MUSIQUE & MÉMOIRE. Melisey, chœur roman, le 4 août 2024. Programme : « L’Italie, Miroir de l’Europe ». FLORENT MARIE, luth Renaissance à 8 chœurs. Giovanni Antonio Terzi, Ballard, Dowland…