Au lendemain d’un saisissant concert de la jeune star coréenne du piano Yunchan Lim, c’est le chant qui reprenait ses droits dans la fabuleuse Eglise del Carmen, lieu principal du 38ème Festival Castell de Peralada, même si l’acoustique s’y révèle toujours plus flatteuse pour les instruments que pour les voix. Et c’est un programme 100 % Gioacchino Rossini que sont venus délivrer la soprano catalane Sara Blanch et le baryton italien Paolo Bordogna, ces deux-là se connaissant bien pour avoir participé à nombre de productions belcantistes ensemble. Si la première brille surtout dans les incroyables extrapolations de la voix, le second a conquis le public plus encore par ses incroyables talents de comédien, et ce n’est pas par hasard qu’il est considéré comme l’un des ou trois meilleurs barytons-bouffes au monde, tessiture qui exige la maîtrise du chant sillabato tout autant que l’art des mimiques et des grimaces.
Mais c’est Sara Blanch qui ouvre la soirée avec le rare air “Fragolette Fortunate” extrait de l‘opéra “Adina” (de Rossini donc…), dans lequel elle fait montre de son art consommé du chant belcantiste, et qu’elle couronne d’aigus étourdissants. Son incroyable souffle, les divins mélismes de la voix, et ses vertigineux sauts d’octave font également merveille dans “Tremare Zenobia ?” extrait d’Aureliano in Palmira, avant de s’attaquer au plus léger “Squallida veste e bruna” de Don Pasquale, où elle rivalise de malice, et dont elle ne fait qu’une bouchée grâce à grâce à son émission franche et une agilité pyrotechnique qui a fait sa renommée. En deuxième partie, c’est à peine si l’on reconnaît le fameux air “Una voce poco fa” tant elle truffe l’air de nouvelles difficultés techniques, y multipliant contre-Ut et même contre-Ré qui ne sont absolument pas dans la partition originale !
De son côté, Paolo Bordogna met un peu plus de temps à se chauffer la voix, son registre grave étant par ailleurs souvent couvert par le pianiste auquel on pourra adresser le reproche de jouer bien trop fort, sans avoir visiblement tester l’acoustique des lieux. Mais au fur et à mesure des airs, la voix volubile et puissante de l’italien reprend ses droits, et finit par en mettre plein la vue tant en termes de vélocité que de puissance vocales. Ainsi, après un air extrait de “La Gazza ladra” manquant de son habituel assurance, celui tiré d”Il Turco in Italia” “Se ho da dirla” fait étalage de son art hors-pair du chant sillabato, qu’il porte à incandescence, plus tard, dans le fameux “Miei rampolli femminini”, qui lui vaut une belle salve d’applaudissements. L’acteur se montre, comme d’habitude aussi, tout aussi hors-pair, multipliant les poses et regards, les grimaces et les gestes propres à susciter le rire. Et si le fameux air “La Calumnia” (Le Barbier de Séville) ne prête pas à rire, c’est sans compter les mimiques appuyés du chanteur, dont le registre grave est cependant à nouveau mis en difficulté tant pas l’acoustique des lieux que par un pianiste peu à l’écoute, en termes de volume sonore, de ses deux partenaires.
Quant aux duos clôturant les deux parties de la soirée (“Credete alle femminine” d’Il Turco et “Dunque io son” du Barbiere), ils permettent aux deux artistes de laisser éclater tant leur complicité d’artistes que leurs brios respectifs, mais c’est dans leur bis final qu’ils mettent le feu à la vénérable église, avec une inoubliable et magistrale interprétation du “Duo des chats”, d’une incroyable exécution technique et théâtrale, et qui leur a valu une standing ovation amplement méritée !
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CRITIQUE, festival. PERALADA (Espagne). 38ème Festival Castell de Peralada (Iglesia del Carmen) le 3 août 2024. Airs et duos de Gioacchino Rossini par Sara BLANCH et Paolo BORDOGNA, accompagné au piano par Giulio Zappa. Photos © Toti Ferrer.
VIDEO : Sarah Blanch et Paolo Bordogna chantent au 38ème Festival Castell de Peralada