Après le coup d’éclat déconcertant, tout au moins surprenant d’un chef mature et anobli par la feue souveraine Elisabeth II, lequel s’est fendu d’une gifle assénée à l’un des chanteurs de la production, – la basse William Thomas en l’occurrence (Priam / Narbal) ; après la défection assumée par le dit chef (JE Gardiner, confondu en excuses depuis lors) …. : place à la musique, rien que l’opéra, celui de Berlioz tant attendu à la Côte Saint-André :
… ses fameux et colossaux Troyens, ainsi représentés dans une mise en espace, dans sa ville natale, en deux soirées (La prise de Troie, puis Les Troyens à Carthage), et dès le 1er soir, à la fin de la première partie dirigée par le chef assistant désigné, le très valeureux portugais Dinis Sousa. Ainsi en sera-t-il pour la suite de la tournée à Salzbourg (le 26 août), Versailles (le 29), Berlin (1er sept), Londres (BBC Proms, le 3 sept).
A situation exceptionnelle, au pied d’une montagne opératique réputée quasi insurmontable pour ses difficultés de mise en place en raison du nombre des personnages, de l’importance du chœur, le jeune chef aura relevé les défis avec un aplomb remarquable.
Le travail de l’orchestre prend la vedette, insufflant des couleurs et un miroitement sonore remarquable caractérisant chaque séquence avec une intensité, des effets de timbres, précis, mordants, des accents qui revivifient l’ensemble de l’action et des enjeux. La Prise de Troie est un immense cri collectif, celui des assiégés, entre terreur et abomination. Carthage, un enlacement amoureux dont on savoure chaque évocation sentimentale ; les deux parties composant un vaste tableau dont l’acuité expressive n’atteint jamais la beauté saisissante du son global. Voilà qui accrédite encore et encore l’avantage indiscutable des instruments d’époque, d’autant plus pour des partitions aussi spectaculaire où l’on confond ailleurs le nombre et l’épaisseur ; ici, l’éclat de l’orchestration, la tapisserie somptueuse des timbres d’un Berlioz qui connaît le traité de Rameau se dévoile dans la transparence et le détail. La lecture reste foisonnante et analytique : une gageure, réalisée avec un tact sûr. Même enthousiasme (et adhésion totale) pour l’articulation et le mordant dramatique toujours juste du Monteverdi Choir, quelque soit la situation et les personnages alors exprimés (troyens, soldats grecs…). La force de l’Iliade, son potentiel dramatique autant que psychologique se révèlent ainsi et l’on comprend désormais pourquoi Berlioz fut à ce point saisi par l’Histoire Antique, ses situations spectaculaires et exacerbées, ses héros sublimes…
Et les solistes ? Avouons notre déception pour la Cassandre d’Alice Coote : voix (trop) ample et profonde voire lugubre ; français correct, mais le jeu et le caractère ne correspondent pas à la jeune fille de Priam, aux visions terrifiantes; qui exhorte son peuple mais en vain ; hélas, Lionel Lhote fait un Chorèbe schématique lui aussi (d’autant plus décevant ici, qu’il est est central dans la première partie) ; étrangement il émet un français confus et épais, sans relief ni rebond. De même pour la Didon de Paula Murrihy, souvent dépassée par les défis du personnage de la Reine de Carthage et dont le français approximatif empêche la lisibilité et la compréhension des enjeux du rôle. Dommage. En revanche, c’est conforme à sa réputation que Michael Spyres incarne un Enée aux dimensions du héros : guerrier, résilient, amant de Didon mais inflexible quand à son devoir : il fondera Rome en quittant la souveraine carthaginoise. Le destin avant l’amour. Déjà associé et pilier de la version de John Nelson (Strasbourg, 2017), le chanteur maîtrise le parcours dramatique du personnage ; il possède la droiture de cette trajectoire (plus héroïque que pathétique), et malgré parfois des déficiences dans l’articulation et des aigus tirés, le ténor tire lui aussi avec l’orchestre et le chœur, son épingle du jeu. Parmi les autres solistes, se distingue nettement le sens de la diction de Beth Taylor (Anna) et de Laurence Kilsby (soliste sortant du chœur), le relief d’Alex Rosen (Hector), la vivacité amusée d’Adèle Charvet (rafraîchissant Ascagne)…
La proposition s’inscrit dans une longue tradition britannique qui mieux qu’en France, a su mesurer très vite, comprendre et défendre le génie du théâtre berliozien (comme les allemands à Bade et Karlsruhe). En cela, la version de Colin Davis (1969, Decca) demeure une référence sur le plan vocal ; Saluons l’initiative du Festival Berlioz de la Côte Saint-André de nous offrir cette nouvelle lecture. Laquelle vaut davantage pour l’impeccable tenue des instrumentistes et du chœur. Le plateau pâtit de l’insuffisance des rôles écrasants, centraux de Cassandre puis de Didon ; et du déséquilibre qu’elle induit immanquablement. Reste à souhaiter que les défauts des 22 et 23 août derniers, s’estompent en cours de tournée, de Salzbourg à Berlin.
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CRITIQUE opéra. LA CÔTE SAINT-ANDRÉ, Festival Berlioz, Château Louis XI, les 22 et 23 août 2023. BERLIOZ : Les Troyens. Dinis SOUZA – Photo © B Moussier / Festival Côte Saint-André 2023
Cassandre, Alice Coote
Didon, Paula Murrihy
Enée, Michael Spyres
Chorèbe & Sentinelle I : Lionel Lhote
Anna : Beth Taylor
Priam & Narbal, William Thomas
Panthée, Ashley Riches
Hylas & Iopas, Laurence Kilsby
Ascagne, Adèle Charvet
Hector & Sentinelle II, Alex Rosen
Hécube, Rebecca Evans
Orchestre Romantique et Révolutionnaire
Monteverdi Choir
Dinis Sousa, direction
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approfondir
LIRE aussi notre critique du CD Les Troyens par John Nelson (4 cd Erato – Strasbourg, avril 2017) / CLIC de CLASSIQUENEWS :
https://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-berlioz-les-troyens-john-nelson-4-cd-1-dvd-erato-enregistre-en-avril-2017-a-strasbourg/
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