vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre, le 16 octobre 2024. MOZART : La Clémence de Titus. B. Richter, S. Farnocchia, M. Kataeva… Milo Rau / Tomáš Netopil.

A lire aussi
André Peyrègne
André Peyrègne
André PEYREGNE est Président d’honneur de la Fédération Française d’Enseignement Artistique, Chroniqueur en Histoire et Musique de Nice-Matin, Collaborateur de Radio France et France Télévision et Ecrivain (son dernier livre paru : « Petites histoires de la grande musique » / Editions Desclée de Brouwer)

On connaissait la Vénus de Milo… eh bien voici le Titus de Milo ! C’est l’étourdissant spectacle de La Clémence de Titus imaginé par l’homme de théâtre suisse Milo Rau, actuellement à l’affiche du Grand-Théâtre de Genève. L’homme de théâtre avait précédemment mis en scène, ici même en déc 2023, l’opéra tout aussi fort et militant « JUSTICE  » d’Hector Para. Malgré les chamboulements infligés à son opéra, Mozart résiste ! Sa musique apparaît plus belle que jamais, servie par un très bonne distribution d’où émerge la mezzo russe Maria Kataeva

 

 

 Le Titus de Milo

 

 Crédit photographique © Carole Parodi

 

Étourdissant spectacle, en effet ! Dérangeant et fascinant à la fois. On vous raconte… Au début, un représentant du personnel du théâtre prend la parole au micro, façon syndicaliste, en annonçant une grève. Sans qu’on ne lui demande rien, il commence à nous raconter sa vie personnelle jusqu’à ce que des personnages lui arrachent (fictivement!) son coeur. L’organe sanguinolent ainsi obtenu passera de mains en mains, d’un personnage à l’autre, tout au long de la soirée, comme une patate chaude. L’opéra commence alors… mais par la fin ! On entend d’abord l’air final de Titus pardonnant à Sextus d’avoir fomenté un attentat contre lui. 

Deux décors alternent : l’un d’un ghetto misérable où la police tabasse à tout va et où une statue de Mozart est détruite, l’autre d’un musée où les bourgeois admirent les tableaux représentant la misère du ghetto. Dans tout cela, Titus, d’empereur romain est devenu un peintre désabusé qui peint le malheur des autres sans leur tendre la main. « Kunst ist macht » (« L’art, c’est le pouvoir ») proclame une banderole. Milo Rau poursuit ici son œuvre de militant sociologique. A la fin du premier acte, Sextus tue Titus. Un coup de poignard et Titus est à terre ! Deuxième acte : après qu’un immigré soit venu nous raconter au micro que la guerre l’a chassé de son pays, l’opéra reprend. Et là, on imagine l’angoisse du metteur en scène : « Mince, j’ai tué Titus au premier acte, mais il a encore des airs à chanter ! Vite ressuscitons le ! » Il convoque alors une sorcière chamane qui lui redonne vie à Titus. Ouf, le spectacle est sauvé ! L’opéra peut reprendre… mais pas jusqu’à la fin puisque la fin a été entendue au début ! A la fin, à la place de Mozart, Milo Rau fera entendre des chants d’oiseaux. Peut-être est-ce cela, l’avenir du monde, au-delà de l’humanité…

On ne peut pas nier la force formidable de ce spectacle. C’est un spectacle d’un genre nouveau qui mélange opéra, théâtre, cinéma et télé. On y voit des scènes de violence et même une pendaison particulièrement réaliste. On voit deux beaux tableaux vivants reproduisant la « Liberté guidant le peuple » et du « Radeau de la Méduse ». On voit un écran sur lequel défilent des séquences filmées et… des commentaires du metteur en scène sur l’opéra de Mozart ! On y voit aussi des reportages sur… la vie personnelle des protagonistes du spectacle pendant que ceux-ci se produisent sur scène (leur vie familiale, leurs loisirs, leur travail, leur état d’âme, leurs maladies, etc… !)

Et pendant que ces biopics passent sur l’écran, les chanteurs chantent. Et chantent bien ! Nous l’avons déjà dit, Maria Kataeva se détache, dans le rôle de Sextus, avec sa voix ronde, musicale, bien équilibrée. Le ténor genevois Bernard Richter a belle allure dans son personnage d’empereur barbouilleur, avec une voix robuste, bien projetée, quelque peu tiraillée dans les aigus cependant. Serena Farnocchia a du caractère, une voix sonore, tranchante, un peu forcée par moments. On aime bien le timbre de Giuseppina Bridelli et on apprécie beaucoup les débuts de Yulia Zasimova, l’Ukrainienne issue du “Jeune ensemble de l’Opéra de Genève”.

Le Choeur du Grand-Théâtre de Genève et l’Orchestre de la Suisse Romande ne méritent que des éloges sous la direction du chef tchèque Tomas Nepotil. Grâce à eux, Mozart remonte dans toute sa splendeur sur le piédestal que Milo Rau, sans clémence, a brisé.

 

 

________________________________________________

CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre, le 16 octobre 2024. MOZART : La Clémence de Titus. B. Richter, S. Farnocchia, M. Kataeva… Milo Rau / Tomáš Netopil.

 

 

VIDÉO : Trailer de « La Clemenza di Tito » selon Milo Rau au Grand-Théâtre de Genève

 

Derniers articles

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img