Après Anna Bolena en 2021, puis Maria Stuarda en 2022, le Grand-Théâtre de Genève achève sa « Trilogie Tudor » de Gaetano Donizetti, avec en grande partie la même équipe artistique : Mariame Clément à la mise en scène, Stefano Montanari à la direction musicale, et Elsa Dreisig, Stéphanie d’Oustrac et Edgardo Rocha dans les rôles principaux. Et on retrouve ainsi, dans ce dernier volet, les aspects visuels et scéniques qui distinguaient les deux premiers ouvrages, avec des costumes qui mêlent différentes époques (époque du 16ème siècle et contemporaine), l’élégante scénographie signée (comme les costumes) par la fidèle Julia Hansen, qui permet des changements scénographiques à vue, de manière fluide et parfois percutante, et toujours l’apparition sur scène (ou à travers deux écrans vidéo placés à cours et à jardin) de personnages présentés à différents moments de leur vie…
Dans le rôle-titre, Elsa Dreisig éblouit chaque fois plus, la voix ayant gagnée encore en ampleur depuis ses Anna Bolena et Maria Stuarda in loco : l’engagement sans faille de la soprano franco-danoise tout au long de la soirée force l’admiration, soutenue par une superbe voix sonore, tandis que la coloration du phrasé, le registre grave et la projection des mots font également grande impression. Seul bémol à son éclatante prestation, le suraigu qui clôt le long air final « Vivi, ingrato” se crispe et n’est pas tenu, le contre-ré attendu se transformant ici en un cri strident qu’elle aura le bon goût de ne pas faire durer pour le plus grand bonheur de nos oreilles, mais c’est dommage !
Aucun reproche, en revanche, à adresser au souverain chant de Stéphanie d’Oustrac, dans le rôle-clé de Sara, auquel elle offre l’éclat de son médium et la chaleur de son timbre, avec un chant superbement contrôlé et d’une rare pureté. Elle trouve par ailleurs l’exact milieu entre les impératifs du belcanto et l’expression d’indicible douleur de son personnage, nous rappelant au passage que, pour enflammer l’auditoire dans un tel répertoire, un chanteur doit savoir créer l’émotion en s’immergeant totalement dans la musique. Dans le rôle-titre, le ténor uruguayen Edgardo Rocha prouve, dans la magnifique cavatine et cabalette du troisième acte (“Come une spirito angelico”), qu’il possède toutes les qualités requises pour interpréter ce répertoire : facilité d’émission (il tente de nombreux suraigus… qu’il réussit avec brio !), netteté de la diction, vibration du phrasé et ligne de chant parfaitement maîtrisée. De son côté, Nicola Alaimo ne fait qu’une bouchée de la partie de Nottingham, avec sa voix de bronze, homogène sur toute la tessiture, et un sens infaillible des nuances. Rien à redire sur les nombreux comprimari de l’ouvrage, dont les interventions ne sont que très épisodiques.
En fosse, enfin, le très rock’n’roll chef italien Stefano Montanari obtient, de la part d’un superbe Orchestre de la Suisse Romande, un accompagnement magnifique de panache et de vitalité. A la fois nerveuse sur un plan rythmique et engagée au niveau dramatique, sa direction sait pourtant respecter la personnalité des chanteurs qui ne se voient ainsi jamais en danger d’être relégués au second plan. Quant au Choeur du Grand-Théâtre de Genève, il se comporte très honorablement et mérite les plus vifs éloges aussi bien pour sa qualité musicale que pour sa tenue scénique.
Une trilogie donizettienne qui se conclut en beauté, et pour ceux qui auraient raté les deux premiers « épisodes », il est possible d’assister (d’ici le 30 juin) à l’intégralité de cette trilogie : voyez ici !
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CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre (du 31 mai au 30 juin). DONIZETTI : Roberto Devereux. E. Dreisig, S. d’Oustrac, E. Rocha, N. Alaimo… Mariame Clément / Stefano Montanari.
VIDEO : Trailer de “Roberto Devereux” de Donizetti (selon Mariame Clément) au Grand-Théâtre de Genève