Une des œuvres les plus drôles du maître bon vivant vient d’être donnée, en version de concert, ce jeudi 7 novembre au Théâtre des Champs-Élysées. Le Comte Ory, avant dernier opéra de Gioacchino Rossini, est une fantaisie médiévale comique, écrite pour l’Opéra de Paris (Salle Pelletier) en 1828. La société de production “Les Grandes Voix” a fait honneur à son patronyme avec une distribution de choix.
On ne présente plus Cyrille Dubois, et la liste infinie de ses qualités : diction claire pleine de sens et d’humour, finesse du timbre dans tous les registres, projection idéale et maîtrise stylistique. Le rôle comique du Comte Ory lui va comme un gant, et c’est un répertoire où on le sent particulièrement heureux. Moins présente sur les scènes françaises, la soprano catalane Sara Blanch est une comtesse de haut vol, toute aussi drôle et pétillante. Rossinienne très assurée, ses coloratures virevoltent, légères et précises, non sans rappeler par moment l’art de Cecilia Bartoli. Elle surpasse toutefois incontestablement cette dernière sur le strict plan technique et la projection. Nous avons hâte de la revoir bientôt : Fiorilla à l’Opéra de Lyon en décembre (nous y serons)…
Ambroisine Bré est comme toujours remarquable dans les rôles de “pantalon”. Elle campe un Isolier fier et fort, plein de malice, avec l’assurance de la jeunesse. Si les rares aigus de la partition sonnent parfois fragiles, son médium et ses graves sont chauds et bien timbrés, sans jamais perdre en diction. La mezzo Italienne Monica Bacelli est une merveilleuse « actrice chantante », notamment lors des récitatifs où elle nous tient en haleine par son élocution. Si elle disparaît complètement lors des ensembles, on ne peut l’en incriminer qu’à moitié. Cela n’est pas le cas de Marilou Jacquard qui réussit à tirer son épingle du jeu malgré la petitesse du rôle d’Alice. Son timbre clair se dégage facilement de la masse orchestrale tout en restant humble et élégant. Nicola Ulivieri nous charme d’emblée par son accent transalpin qui ne gâte en rien sa diction. Sa voix chaude et son caractère buffo en font un Gouverneur de choix. Enfin c’est le très prometteur Sergio Villegas-Galvain qui interprète le rôle de Rimbaud : le jeune chanteur franco-mexicain fait de sa cabalette de l’acte II un air de bravoure comparable au fameux “Largo al factotum”.
Les trois jeunes coryphées Lucas Pauchet, Pierre Barret-Mémy et Violette Clapeyron (qui remplaçait une collègue au pied levé !) étaient parfaitement à la hauteur du reste de la distribution – et semblaient se délecter de leurs textes croustillants.
Si quelques-uns de ces très bons solistes ne passaient pas l’orchestre, il faut peut-être considérer à deux fois le volume de celui-ci. Et si à la baguette Patrick Lange esquisse nombre de subtilités, l’Orchestre de Chambre de Paris, un peu lourd, ne suit pas toujours. De même l’immense chœur “composite” n’aide pas à l’allègement de cette “machine”. Le contraste entre l’humour pétillant des chanteurs et un orchestre “au fond de sa chaise” n’a malheureusement pas complètement rendu hommage à l’œuvre, en témoigne la timidité des applaudissements. Si Rossini est un si grand compositeur, c’est parce qu’il met autant d’humour dans l’orchestre que dans les parties solistes. Et l’alchimie entre les deux est nécessaire. Nous ressortons tout de même enchantés par ce spectacle à la distribution aussi réjouissante que la partition elle-même !
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CRITIQUE, opéra (en version de concert). PARIS, Théâtre des Champs-Élysées (Les Grandes Voix), le 7 novembre 2024. ROSSINI : Le Comte Ory. C. Dubois, S. Blanch, A. Bré, M. Bacelli… Patrick Lange (direction). Photo (c) DR