À l’occasion des prochains Jeux Olympiques – dont certaines épreuves se dérouleront à Versailles -, l’Opéra Royal a eu une bonne idée de programmer L’Olimpiade, non pas celui d’Antonio Vivaldi bien connu des amoureux de l’opéra baroque (que l’on entendra d’ailleurs en juin prochain au Théâtre des Champs-Elysées…), mais du Napolitain Domenico Cimarosa.
Fidèles à leur ligne directrice qui privilégie les répertoires rares, Les Talens Lyriques présentent, sous la direction de leur fondateur Christophe Rousset, L’Olimpiade de Domenico Cimarosa, donné ici en version de concert. Le livret de Pietro Metastasio développe une intrigue amoureuse avec un roi tyrannique et deux jeunes couples qui subissent séparation, fuite, trahison. L’histoire, sous le couvert des Jeux Olympiques, est bien complexe, mais en somme assez classique. Le roi de Crête Clistene s’oppose au mariage entre Licida et la noble Argene qui, persécutée par le roi, fuit à Élide où se déroule les Jeux, pour y trouver du réconfort. Quant à Licida, il décide d’assister aux Jeux et se rend également à Élide. Il y voit Aristea et en tombe amoureux. Son père qui préside les Jeux n’est personne d’autre que le roi de Crète. Celui-ci annonce qu’il donnera sa fille au vainqueur des Olympiades. Licida appelle alors à son ami Megacle, grand athlète athénien, pour que celui-ci participe à la compétition sous son nom, espérant le voir la gagner et pouvoir ainsi épouser l’objet de ses désirs. Megacle gagne effectivement, mais il est amoureux d’Aristea aussi ! Or, Clistene déteste tout ce qui est athénien, donc il n’est pas question d’accepter leur mariage. Mais à la fin, on découvre que Licida est en réalité Filinto, le fils de Clistene, que ce dernier avait fait disparaître en suivant l’oracle pour éviter que sa prédiction se réalise : le roi serait assassiné par son propre fils ! L’opéra se termine ainsi par un lieto finale.
La complexité du livret fait perdre plus d’une fois le fil, mais heureusement, la musique est là pour nous envoûter. Malgré son style bien ancré dans le classicisme, la partition s’envole à maintes reprises dans une extraordinaire folie virtuose. Certains récitatifs accompagnés montrent le génie inventif du compositeur, par exemple la présence importante du hautbois, notamment dans des airs d’Argene et d’Aristea au deuxième acte, ce dernier étant précédé d’un strophe entièrement consacré à cet instrument avec une petite cadence, comme dans un véritable concerto. Les flûtes offrent aussi un très beau moment en jouant un contre-chant dans la première apparition de Licida. Il va de soi que les trompettes et les cors brillent de mille feux dans les scènes de fastes.
À mesure que l’opéra avance, le récitatif prend de l’ampleur, jusqu’à s’imposer dans un duo ou un trio d’une dimension inattendue dans le deuxième acte, au même titre – ou presque – que des airs. L’orchestre est expressif, et surtout dynamique dès l’Ouverture enflammée, comme pour transmettre la surexcitation des compétitions athlétiques. Comme on l’a vu avec le hautbois, la partition lui confie ça et là de belles introductions pour des arias, en reprenant entièrement la strophe, ce qui préfigure en quelque sorte le bel canto. Mais le plus spectaculaire dans cette œuvre, ce sont les airs virtuoses, de plus en plus fiévreux et exaltés, électrisés et galvanisés, comme si le compositeur se « cassait la tête » pour ajouter à chaque air une couche de plus, avec pour devise « Citius, Altius, Fortius, Communiter» !
Dans le rôle d’Aristea, c’est avec majesté que la soprano espagnole Rocío Pérez met en valeur son agilité surprenante et la justesse de son propos, aussi bien dans les lignes fleuries que dans les sauts d’intervalles. Son timbre chaleureux va de pair avec sa technicité parfaitement contrôlée, conférant une belle assurance à son chant, renforcé par sa présence scénique. Le timbre très riche de la mezzo Mathilde Ortscheidt est impressionnante dans la tessiture basse, avec sa texture de velours qui tend vers le contralto, donnant toute sa crédibilité au personnage de Licida. En Argene, Marie Lys déploie sa voix aérienne avec justesse, tout en recherchant les émotions profondes qui enrichissent son personnage. La mezzo espagnole Maite Beaumont fait montre d’une formidable élasticité vocale, souple et maniable à volonté, à l’image de son personnage de Megacle qui donne le meilleur de son talent athlétique. Le roi autoritaire Clistene est incarné par le jeune Josh Lovell. Doté d’une voix sonore, au timbre brillant, il chante toujours avec justesse des airs d’endurance avec des vocalises redoutables ; sa vocalité est dominée par une musicalité naturelle, offrant un véritable plaisir auditif aux spectateurs. Enfin, Alex Banfield campe Aminta, précepteur de Licida, complétant le plateau vocal en beauté. Le caractère musical de chaque chanteur et chanteuse entre constamment en concurrence les uns avec les autres, dans une émulation excitante, pour créer des moments de plaisir rafraîchissants et même parfois jouissifs. On sort du spectacle en espérant voir un jour l’ouvrage dans une version scénique, car il l’appelle !
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CRITIQUE, opéra (en version concertante). VERSAILLES, Opéra royal, le 16 mai 2024. CIMAROSA : L’Olimpiade. J. Lovell, R. Pérez, M. Lys, M. Beaumont… Les Talens Lyriques / Christophe Rousset (direction).
VIDEO : Christophe Rousset raconte le projet de « L’Olimpiade » de Cimarosa à l’Opéra Royal de Versailles
critique cd
NDLR : Belle concordance – Château de Versailles Spectacles publie au moment des représentations à l’Opéra Royal, le cd de l’opéra de CIMAROSA. LIRE ici la critique complète de l’enregistrement, élu CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2024 par la Rédaction : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-cimarosa-lolimpiade-1784-les-talens-lyriques-ch-rousset-2-cd-cvs-chateau-de-versailles-spectacle/