Après un concert donné récemment au Théâtre des Champs Elysées, consacré à la musique viennoise du XXème siècle (Schöenberg, Berg), l’Orchestre Les Siècles s’est tourné, le 22 mai dans ce même théâtre, vers la musique d’une époque voisine, celle du compositeur français Maurice Ravel. Programme original, « Ravel et l’Espagne« , dédié dans une première partie à l’un des aspects de la musique symphonique dudit compositeur, est poursuivi en seconde partie, par une pièce lyrique peu jouée mais passionnante : L’Heure espagnole.
En l’absence de son chef « titulaire » François-Xavier Roth, pourtant présent la veille au soir sur le plateau du Théâtre Lyrique de Tourcoing où ce programme était donné avant d’arriver à Paris, c’est Adrien Perruchon, également Directeur musical de l’Orchestre Lamoureux, qui tenait la baguette. Trois pièces symphoniques orientées vers le même univers hispanique composaient cette première partie entièrement dévolue à l’orchestre : l’Alborado del gracioso (« Aubade du bouffon« ), suivie par la Rapsodie espagnole, et enfin, l’inévitable mais somptueux Boléro. C’est peu dire qu’on ne se lasse pas d’admirer et de prendre plaisir à l’écoute de la musique du maître de l’orchestration qu’est Maurice Ravel. C’est incontestablement vrai pour lesdites pièces, sans doute plus particulièrement, pour L’Alborado, brève, mais d’une intensité luxuriante, ainsi que pour le Boléro ; surtout quand ces pièces sont interprétées par Les Siècles, de manière jubilatoire. Dans le Boléro, on doit à Adrien Perruchon d’avoir mené à bien cette danse « de mort » pour certains, d’obsession compulsive pour d’autres… Cette pièce mythique ne se résume pas à son motif musical répété : on aura justement su gré à Adrien Perruchon d’avoir mené à bien la mise en valeur très réussie des soli instrumentaux qui se succèdent, entre autres le cor, la flûte, le saxo… qui, tour à tour, reprennent le thème, et d’avoir su maintenir à distance la puissance de l’orchestre, le temps d’un crescendo superbement maîtrisé, jusqu’à l’explosion finale et ses sublimes dissonances.
Puis, place à L’Heure espagnole qui apparaît dans la production musicale de Ravel comme une parenthèse heureuse et inattendue. Créée à l’Opéra-Comique le 19 mai 1911, Ravel dit de L’Heure espagnole : « C’est une comédie musicale« , précisant que son intention est de « redonner vie à l’opéra-bouffe italien, mais dans son principe seulement« . C’est une pièce pleine d’humour, qui respire un bonheur certes parfois coquin, avec son mari trompé, son défilé d’amants – et dont le livret repose sur une comédie de Franc-Nohain (pseudo de l’écrivain Maurice-Etienne Legrand) qui rencontra un fier succès en 1905. Point de mise en scène ici, mais une habile mise en espace : seules les horloges – dans lesquelles sont dissimulés lesdits amants (!) – font défaut, et à dire vrai, on s’en passe très bien…
Le quintette de chanteurs qui a été retenu est, sans aucune exception, remarquable de talent et d’humour, et a suivi à la lettre, avec leur très belle diction, la recommandation de Ravel à ses interprètes « de dire plutôt que de chanter« … A commencer par la seule femme du plateau, la pétillante mezzo-soprano Isabelle Druet dans le rôle de Concepcion, la femme de l’horloger Torquemada, personnage quelque peu « emprunté » et bien croqué par le ténor Loïc Félix. Puis les deux amants « en titre » : le merveilleux et d’une très grande drôlerie dans ses tirades, le ténor Benoît Rameau dans le rôle de Gonzalve, le « bachelier poète” (!), et le non moins merveilleux baryton-basse Nicolas Cavallier, dans le rôle du riche financier Don Inigo Gomez, épatant de candeur et de suffisance. Enfin, celui qui triomphe et qui a “le mot de la fin” auprès de Concepcion, c’est le magnifique baryton français Thomas Dolié, dans le rôle de Ramiro le muletier, vainqueur de cette pochade, un peu malgré lui. Un quintette qui s’est amusé, tout en nous amusant.
La musique est à l’image du propos : elle fait entendre, ça et là, tout l’humour que contient l’argument (le “tic-tac” de l’horloge qui introduit l’ouvrage…). Elle incarne avec raffinement le propos résolument comique de l’ouvrage. Sonorités riches et originales qui, avec bonheur, font écho au caractère d’opéra-bouffe voulu par Ravel. L’Orchestre Les Siècles et leur chef “du soir” sont les artisans indispensables de cette réussite… accueillie avec enthousiasme par le public !
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CRITIQUE, concert. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 22 mai 2024. RAVEL ET L’ESPAGNE (Alborada del Gracioso, Rapsodie Espagnole, Boléro, L’Heure Espagnole). Orchestre Les Siècles / Adrien Perruchon (direction). Photo (c) DR.
VIDEO : Les Siècles jouent le « Boléro » de Maurice Ravel