CRITIQUE, opéra. DIJON, le 20 nov 2022. VERDI : Stiffelio. Debora Waldman/Bruno Ravella. – Après le succès rencontré par le spectacle à l’Opéra national du Rhin l’an passé, la production du Stiffelio de Giuseppe Verdi imaginée par Bruno Ravella est reprise à l’Opéra de Dijon, maison coproductrice. Cet opéra est une vraie rareté, peut-être à cause de son sujet plus qu’autre chose, car ses qualités musicales sont indéniables, et il fût en tout cas un échec total à sa création en 1850 au Teatro Grande de Trieste. Que le lecteur imagine seulement la réaction du public catholique du XIXe siècle, auquel le compositeur parmesan demande de se confronter à un drame protestant : le mariage d’un serviteur de Dieu était déjà inconcevable, alors ne parlons pas de l’adultère ! Et le pardon accordé à la fin par le pasteur, du haut de sa chaire, a dû faire l’effet d’une provocation bien plus violente que certains des metteurs en scène actuels.
Dans le rôle-titre, le ténor italien Stefano Secco possède une voix puissante et sonore, très à l’aise dans le répertoire aigu, même si la tessiture ardue de son personnage atteint le maximum de ce que le chanteur peut offrir. Le médium, et surtout le grave, accusent quelques notes sourdes, qui révèlent la nature lyrique de ce ténor un peu fourvoyé dans le spinto de Stiffelio. Mais l’insolence de l’émission et l’autorité de l’accent rendent de bout en bout crédible son incarnation d’un personnage qui a fasciné, par le passé, les plus grands ténors tels José Carreras et Placido Domingo. L’argentin Dario Solari lui vole cependant la vedette, en authentique baryton verdien qu’il est : la maîtrise du legato, l’homogénéité des registres, le moelleux de l’aigu et la variété du phrasé soulèvent de bout en bout l’enthousiasme, en particulier dans le magnifique cantabile de Stankar « Lina, pensai che un angelo »), au début du III.
La jeune soprano parmesane Erika Beretti, dans le rôle de Lina, appelle davantage de réserves. Si la technique vocale est à la hauteur des exigences de sa partie, la voix sonne encore bien vertement, avec des stridences dans l’aigu que le temps (et la pratique de la scène) devraient, nous l’espérons pour elle, corriger. Enfin, les accents lyriques de Raffaele Abete conviennent parfaitement au personnage de Raffaele, tandis que la basse turque Önay Köse est une pure révélation en Jorg, avec une voix d’une puissance et profondeur peu communes.
Côté scénique, grâce à la sobriété d’un décor unique se résumant à l’austère façade en bois d’un temple protestant, Bruno Ravella exprime la rigueur qui pèse sur les protagonistes, traduisant à merveille l’atmosphère étouffante de ce huis clos. Quelques cieux tourmentés, parfois accompagnés de pluies orageuses, viennent accentuer le caractère dramatique de certaines situations ; et une direction d’acteurs au cordeau finit d’assurer le succès théâtral de la soirée.
Enfin, à la tête de l’Orchestre Dijon Bourgogne très impliqué, la cheffe argentine Debora Waldman, directrice musicale de l’Opéra Grand Avignon, ne manque ni de talent ni de personnalité. Souvent entendue diriger dans la cité papale, elle donne le meilleur d’elle dans cet ouvrage, avec un geste énergique et incisif, mis au service d’une lecture vibrante et dramatiquement engagée, qui n’oublie pas le raffinement quand la partition l’appelle.
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CRITIQUE, opéra : Stiffelio de Verdi à l’Opéra de Dijon, les 20, 22 & 24 novembre 2022. Debora Waldman / Bruno Ravella. Photos : DR – Opéra de Dijon
Rappel distribution :
Stiffelio, Stefano Secco
Lina, Erika Beretti
Stankar, Dario Solari
Raffaele, Raffaele Abete
Jorg, Önay Köse
Dorotea, Julie Dey
Federico, Jonas Yajure*
Figurants :
Fritz Jean-Christophe Sandmeier*
Dame Véronique Rouge*
Artistes du Chœur de l’Opéra de Dijon