Le public amstellodamois s’est levé comme un seul homme à la fin de la deuxième représentation de Rigoletto de Giuseppe Verdi – qui ouvre la saison du Nationale Opera d’Amsterdam. Il est très plaisant de sentir l’enthousiasme de ces auditeurs élégants, éclairés et sympathiques qui le crient haut et fort, et à juste titre, quand il s’agit de leur orchestre et de leur chœur.
Le chef d’œuvre de Verdi est vu ici par Damiano Michieletto comme le cauchemar éternel de Rigoletto, après la mort de sa fille Gilda, et l’accent est mis sur le caractère obsessionnel de Rigoletto pour sa fille, la permanence de la malédiction et le traumatisme vécu par le rôle-titre. Enfermé dans ce qui ressemble à une chambre d’asile, d’un blanc clinique, Rigoletto revit ce terrible drame en faisant apparaître les différents personnages par des trous percés dans les murs, presque tous vêtus de blanc également. Si la proposition se tient, elle n’est pour autant pas d’une originalité extraordinaire. En effet, le cauchemar, le traumatisme et l’asile sont des leitmotiv des mises en scènes “modernes” depuis une cinquantaine d’années, et ne font plus l’effet escompté. Il est également frustrant de se faire distraire par des vidéos projetées sur toute la blancheur du décor pendant les plus beaux moments (les airs “Caro Nome”, “Cortigiani, vil razza dannata” entre autres…), des vidéos qui font appel à des flashbacks vaguement psychanalytiques sur l’enfance de Gilda, d’un intérêt très relatif. Outre cela, c’est une mise en scène cependant claire, cohérente et avec une bonne direction d’acteurs, qui donne satisfaction sur le moment.
Le baryton russe Roman Burdenko incarne un Rigoletto puissant et désespéré. Sa voix précise, et pleine de sanglots quand il le faut, allie une grande maîtrise technique et une théâtralité poignante (il chantera ce même rôle à l’Opéra de Paris en décembre prochain, et nous ne pouvons qu’encourager le public parisien à aller l’y applaudir). Sa compatriote Aigul Khismatullina campe une Gilda toute en innocence et en légèreté. Si cela correspond assez bien à la mise en scène et à la jeunesse du personnage, on peut tout de même penser que le rôle doit néanmoins évoluer tout au long de l’œuvre, vers plus de drame dans la ligne de chant, et c’est ainsi qu’une certaine densité manque ici. Elle est également assez neutre en termes de présence scénique, mais il est possible que cela soit un choix du metteur en scène… La voix n’en est pas moins belle et la technique saine. Le Duc de Mantoue est interprété avec beaucoup de naturel par le ténor américain René Barbera. Sa voix claire et jamais forcée correspond à merveille avec la nonchalance du personnage, doublée d’une diction parfaite.
Dans les rôles secondaires, notre coup de cœur va à l’encontre de Frederik Bergman, qui incarne un très puissant et très dramatique Conte di Monterone. Ses deux courtes interventions nous marquent par la puissance vocale et son incarnation très forte du rôle, à la fois sérieux et en colère, à la fois vieillard et bouillonnant. Alexander Köpeczi et Maya Gour forment un duo convaincant dans les rôles de Sparafucile et Maddalena. Le premier est terrifiant, avec une voix pleine et stable qui correspond parfaitement au hiératisme glaçant du personnage. Le seconde est touchante, et possède toutes les qualités qu’appelle son rôle, tant dans les couleurs, la diction ou le jeu scénique, mais manque cependant de puissance pour passer l’orchestre. Quant aux comprimari, ils s’avèrent tous convaincants, à commencer par les académiciens”” de l’Opera Studio de la maison amstellodamoise, comme Salvador Villanueva, Joe Chalmers ou encore Martina Myskohlid dans les rôles respectifs de Borsa, et du Comte et la Comtesse de Ceprano.
La direction musicale d’Antonio Fogliani met particulièrement en valeur le très bel orchestre du Nederlands Philharmonisch Orkest, au son rond et velouté, particulièrement remarquable dans les bois. Mais, il lui arrive parfois d’oublier le plateau vocal, se retrouvant légèrement derrière en termes de tempo, notamment au niveau du Choeur “maison” (néanmoins excellent), dont on reconnaît volontiers que les nombreuses interventions sont particulièrement difficiles.
De Nationale Opera & Ballet ouvre ainsi sa saison avec une œuvre forte du grand répertoire, très bien exécutée, et une distribution vocale très unie et de grande qualité. Nous avons hâte de découvrir le reste de la saison de cette belle maison lyrique… auprès du si sympathique public néerlandais !
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CRITIQUE, opéra. AMSTERDAM, De Nationale Opera, le 5 septembre 2024. VERDI : Rigoletto. R. Burdenko, A. Khismatullina, R. Barbera… Damiano Michieletto / Antonino Fogliani. Photos (c) Bart Grietens.
VIDEO : Trailer de « Rigoletto » selon Damiano Michieletto au Nationale Opera d’Amsterdam