dimanche 16 mars 2025

CRITIQUE, festival. LISBONNE, 5ème Lisboa Operafest, le 2 septembre 2024. MOZART : Don Giovanni. C. Lujan, L. Rodrigues, P. Modesto, R. Albuquerque… Joao Pedro Mamede / Pedro Carneiro.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Troquant les Jardins du Musée d’Art Antique, lieu historique du Lisboa OperaFest, contre le Théâtre de plein air de la fameuse Fondation Gulbenkian  (du moins pour ce Don Giovanni de Mozart, donné du 30/8 au 4/9, d’autres lieux emblématiques de la Capitale portugaise étant mis à contribution…), Catarina Molder (son infatigable directrice artistique) a un peu payé de malchance, car il se trouve pile poil dans le couloir aérien d’un des aéroports les plus fréquentés d’Europe. C’est pour cette raison, en plus de la fraîcheur et de l’humidité des nuits lisboètes (mais aussi la recherche d’originalité de la facétieuse soprano et femme de théâtre portugaise) qu’elle a remplacé le traditionnel clavecin par… une guitare électrique (excellent et inventif Simao Barcia !), ajoutant une note pop bienvenue à un opéra de toute façon hors-normes et se prêtant à (presque) toutes les extravagances….

 

Dans ce même esprit de défi et de tout oser, Caterina Molder a fait confiance à un jeune “théâtreux” (comédien et metteur en scène) de monter ici son premier opéra, son compatriote Joao Pedro Mamede, qui a opté pour une solution “intermédiaire” entre tradition et modernité, avec une touche totalement baroque pour les costumes (conçus par Patricia Costa) : si Don Giovanni arbore un tuxedo très chic, tout en étant vu ici comme un mafieux toujours prêt à dégainer son revolver, et d’abord pour abattre (dans le dos) le Commandeur…), tous les autres personnages se voient affublés d’accoutrements totalement foutraques (surtout les femmes), tout en étant très étudiés et très agréables à l’oeil. De son côté, la scénographie (imaginée par Daniela Cardante) s’avère dès plus simple et dépouillée, avec le décor unique d’un labyrinthe composé de rectangles de buis, particulièrement efficace dans les jeux de cache-cache et de chausses-trappes dont est truffé le chef d’oeuvre mozartien. Quant à la direction d’acteurs, elle s’avère efficace et intelligente, en évitant tout sentiment d’ennui dans une soirée par ailleurs réduite à 2h30 sans entracte (au détour de quelques coupures dans le deuxième acte, plus les deux arias du ténors), pour des raisons climatiques et logistiques. Bonne idée de faire oublier à Donna Anna son esprit uniquement vengeur pour lui offrir une attirance jamais démentie envers son séducteur, tandis qu’à l’inverse, Donna Elvira s’avère plus hystérique et nymphomane que jamais, prête à toute pour être dans les bras de son infidèle amant. Devant continuellement tempérer ses coups de chaud en utilisant un brumisateur, elle aussi une tendance à abuser de boissons alcoolisés, ce qui provoque une scène cocasse où elle ne peut se retenir de vomir (à grand bruit) dans les bosquets, provoquant les rires d’un public lisboète que l’on connaît pour être très ouvert en matière de théâtre, lyrique ou pas ! Quant à la scène finale, Don Giovanni finit par se tirer une balle dans la tête pour arrêter les souffrances provoquées par les flammes de l’enfer (symbolisées ici par les lumières rougeâtres de Sergio Moreira)… mais c’est pour mieux le retrouver (pendant le moralisateur septuor final) au beau milieu d’une “partie fine” (dans les enfers), ce qu’il semble apprécier (on ne se refait pas !). 

Hors le Don Ottavio d’Alberto Sousa, suffisamment indisposé pour qu’il demande lui-même à ne pas chanter son premier air, quand le deuxième avait été de toute façon coupé dans cette production…), la distribution (quasi) entièrement portugaise offre le plus complet satisfecit. Dans le rôle-titre, Christian Lujan, le plus pourtugais des barytons colombiens (il vit depuis de nombreuses années à lisbonne où nous l’avons entendu moult fois au fameux Teatro de Sao Carlos, seule et unique scène lyrique du Portugal) offre un portrait très convaincant, tant vocalement que physiquement (avec son corps d’athlète exhibée dans la scène finale), du dissoluto. Il campe ainsi un remarquable Don Giovanni, qu’il vit avec une intensité peu commune. La voix est puissante, bien projetée, avec toute l’autorité et la séduction attendues. Le premier rôle masculin lui est disputé par Luis Rodrigues, formidable Leporello, doté d’une voix ample, bien timbrée, aux graves solides, qui n’est pas présenté ici comme le couard habituel, mais au contraire avec une personnalité riche et fouillée. Tiago Amado Gomes nous vaut un Masetto également de belle tenue, quand la stature naturelle du Commandeur incarné par Nuno Dias le prédispose à l’emploi, avec des graves par ailleurs sonores. Des rôles féminins, très caractérisés, aucun ne déçoit. Rafaela Albuquerque, Donna Elvira, impressionne et émeut par la violence de sa passion ; par ailleurs dotée d’une voix vaillante, généreuse, sonore, aiguisée comme séduisante, elle traverse l’ouvrage avec une présence exceptionnelle. Donna Anna, Patricia Modesto, personnalité riche et complexe, offre une voix lumineuse et ronde, particulièrement épanouie. La Zerline de Cecilia Rodrigues, mutine, gourmande, effrontée, est délicieuse. Le timbre n’est pas de toute beauté, mais il est toujours expressif, et conduit avec de beaux phrasés. Les ensembles sont autant de réussites, comme la participation sans problème du Chœur du Lisboa OperaFest.

Enfin, le chef portugais Pedro Carneiro est placé à la tête d’un Orchestre de Chambre du Portugal tout simplement impeccable, offrant une lecture tendue, nerveuse, et hautement dramatique de ce chef d’œuvre absolu qu’est, un Mozart jeune, chargé d’énergie, et constamment percutant. Bravi Tutti !

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CRITIQUE, festival. LISBONNE, 5ème Lisboa Operafest, le 2 septembre 2024. MOZART : Don Giovanni. C. Lukan, L. Rodrigues, P. Modesto, R. Albuquerque… Joao Pedro Mamede / Pedro Carneiro. Photos (c) Susana Paiva

 

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Lire ci-après notre présentation du Lisboa OperaFest :

https://www.classiquenews.com/lisbonne-5eme-operafest-lisboa-oeiras-du-22-aout-au-11-sept-2024-cavalleria-rusticana-pagliacci-don-giovanni-le-petit-poucet-creation-de-la-cantate-torment-pour-les-50/

 

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