Le texte creuse l’investissement psychique et psychologique d’un danseur hors normes pour conquérir son titre d’étoile, et la réalité de ce qu’il a vécu pour l’obtenir ; entre frustration, humiliation, solitude, épreuves et adversité, surtout souffrance multiple et permanente, celle d’un corps incontrôlable qui souvent ne suit pas la force de l’esprit. Et quel esprit !
Rebelle à toute forme d’autorité, de discipline, François Alu qui faisait lever des salles entières de spectateurs à l’Opéra de Paris, a cru longtemps qu’il obtiendrait enfin son étoile… en particulier quand il pense sur des rumeurs la mériter après s’être dépassé dans un solo de tous les diables (dont un manège de sauts du type « assemblées »,…) sur les planches de la Maison parisienne , arraché à force de volonté malgré blessures, déchirements et entraves physiques diverses… cet épisode fait toute la valeur du chapitre « révoltade » dont la lecture laisse pantois. On y médite la force inimaginable d’un immense tempérament d’un athlète hors pair.
Celui qui suit le cursus complet, prépare chaque concours et obtient chaque titre convoité, est en réalité un tempérament fougueux, un insoumis dont la créativité et l’imagination d’artiste suscitent incompréhension, réprobation ou vives critiques. Le moule de l’école de danse puis de l’Opéra National de Paris ne lui convient guère.
Le texte est ponctué, rythmé de références aux figures et mouvements de danse, aux procédés qui relèvent de la pure technique (« glissade », « 540 », « Ronds de jambe », « Assemblée », « brisé », brisé volé », « tours en l’air », « fondu » …) autant de prouesses dont beaucoup de sauts les plus divers dont il a fait sa spécialité et qu’il a absorbé ; qui constitue un vocabulaire lentement appris et maîtrisé ; chacun suscite plusieurs récits rédigés comme les souvenirs d’un apprentissage difficile et particulièrement éprouvant ; dont la dureté est compensée souvent par des poèmes de son cru, hautement cathartiques. François ALU est un hypersensible, un écorché au cœur tendre qui ici confesse ses douleurs, ses frustrations que sa détermination a transformé en source de dépassement. En témoignent une allure athlétique, une énergie bondissante hors normes qui l’ont très vite distingué de ses confrères masculins. François Alu incarne ce que l’académisme ne peut transmettre : la flamme, le caractère, le dépassement.
l’étoile François Alu,
un cœur tendre et rebelle
Celui qui eut la vocation de la danse en regardant à la télé danser Patrick Dupont, qui souhaitait devenir étoile, perdit peu à peu le lien et la confiance qui le reliaient à l’administration et l’institution. Seule l’ex directrice de la danse, Brigitte Lefèvre sut estimer la valeur du danseur inclassable. Quand il décroche enfin son titre d’étoile en 2022 (au terme d’une représentation de la Bayadère), il est trop tard. François Alu le dit lui-même : aucune émotion. L’attente s’est mue en lassitude. Et l’artiste songe déjà à quitter le navire parisien, pour une autre trajectoire qui compte un seul en scène… Nommé en avril 2022, il renonce à une carrière prestigieuse et devient un danseur libre de toutes contraintes en novembre suivant. Avec pour valeurs nouvelles : créativité, productivité et surtout partage, cette dernière si absente pendant ses années de formation.
A travers ce livre confession qui raconte l’itinéraire d’un danseur parmi les plus doués, – et le plus atypiques-, c’est aussi l’échec de l’Institution parisienne qui s’écrit de page en page ; échec à comprendre, mesurer, accompagner un tempérament aussi talentueux et déterminé. Milieu concurrentiel à outrance, cadre strict, disciplinaire, … chacun jugera. François Alu rappelle l’itinéraire d’une autre danseuse qui n’a pas hésité pour sa part à régler ses comptes avec l’institution et sa directrice, Marie-Agnès Gillot dans un livre écrit lui aussi à la première personne et au titre bien trouvé : « Sortir du cadre » (CLIC de CLASSIQUENEWS, mai 2016). Au terme de la lecture, la figure du danseur qui a enfin su se libérer, suscite l’admiration et l’estime fraternelle. A défaut d’avoir totalement savouré son titre d’étoile, François Alu aura cependant réussi à trouver son chemin.
Toutes les photos © couverture du livre : Le Prix de l’Etoile (240 pages / éditions Robert Laffont)
___________________________________________
CRITIQUE, livre événement. François ALU : Le Prix de l’Etoile (240 pages / éditions Robert Laffont)