Après une troisième édition couronnée de succès, les 4èmes Rencontres Musicales de Nîmes ont connu une affluence record, d’autant que les conditions climatiques étaient cette année autrement plus propices (que les soirées caniculaires de la fin août 2023…). Le festival des Rencontres Musicales de Nîmes, c’est avant tout un projet d’amis, une idée pour se retrouver chaque été à trois, avec le pianiste Alexandre Kantorow, la violoniste Liya Petrova, et le violoncelliste Aurélien Pascal, qui invitent à chaque nouvelle édition d’autres musiciens proches : cette année le pianiste Théo Fouchenneret, le violoncelliste Edgar Moreau, le violoniste Schuichi Okada et les altistes Grégoire Vecchioni et Paul Zientara. Mais le projet doit aussi beaucoup à l’aide de Philippe Bernhard (ancien directeur artistique des Rencontres Musicales d’Evian, et ici maître de cérémonie aussi efficace qu’enthousiaste), et à celle (plus financière) de Xavier Moreno. Pour cette mouture 2024, les trois musiciens ont préparé cinq concerts, donnés du 27 au 31 août, et ce sont aux derniers concerts du festival que nous avons eu la chance d’assister (les 30 & 31 août), qui invitait, en plus des 9 instrumentistes précités, l’Orchestre Consuelo et son dynamique fondateur, le jeune violoncelliste et chef d’orchestre Victor Julien-Laferière (dans un programme déjà donné, en cette deuxième quinzaine d’août, aux Festivals de Rocamadour et de La Chaise-Dieu).
Intitulées “Un concert de 1808”, les deux soirées mettaient à l’affiche les Symphonies n° 5 & 6 de Ludwig van Beethoven (créées le même soir, au Théâtre an der Wien, en décembre… 1808 !), agrémentées de tout un tas de pièces chambristes ou symphoniques, allant de Josef Haydn à Paul Hindemith. Car comme le précise, à juste raison Philippe Bernhard, en propos d’avant concert, les concerts au début du XIXème siècle ne donnaient que rarement des oeuvres dans leur entièreté, mais plus volontiers des mouvements de Symphonies mélangés à des morceaux de musique de chambre, et c’est cette idée qui a prévalu ici sur les deux concerts.
C’est ainsi des mouvements tels que l’Allegro affettuoso du Concerto pour piano de Robert Schumann (par Théo Fouchenneret), l’Andante de celui pour violon de Félix Mendelssohn (par Liya Petrova), le dernier mouvement du Double Concerto de Johannes Brahms, ou encore l’Allegro molto du Concerto pour violoncelle de Josef Haydn (par Edgar Moreau) qui seront tout à tour interprétés, avec le talent que l’on connaît à tous ces excellents musiciens. Et si le premier soir se termine par une étourdissante exécution du Second Concerto pour Piano de Franz Liszt par Alexandre Kantorow (entendu dans le même ouvrage en juillet dans la Cours d’honneur du Palais Princier de Monaco), les trois amis (Kantorow, Petrova et Pascal) se retrouvent en revanche pour clore le festival dans une non moins brillante exécution de l’Allegro con brio du Trio pour piano, violon et violoncelle de Johannes Brahms.
Mais c’est bien sûr les deux Symphonies beethovéniennes qui étaient le coeur des deux soirées, avec la Cinquième le premier soir, puis la Sixième le lendemain, que l’Orchestre Consuelo et son chef ont eu loisir de “rôder” pendant tout l’été (et pas seulement dans les festivals français…). Les qualités des deux interprétations sont les mêmes que celles déjà constatées quelques jours plus tôt à Rocamadour (et dans les mêmes conditions, c’est-à-dire avec une sonorisation cependant plus « discrète » à Nîmes que dans la cité médiévale, le concert y ayant été donné en contre-bas, dans la vallée de l’Alzou, sur une “scène” donc plus “ouverte”, et sans le long et haut mur réverbérateur des Jardins nîmois…) : épanouissement sonore, ampleur et souffle qui rétablissent la formidable vitalité et l’esprit d’autodétermination des deux opus. L’abstraite et énergique 5ème (dite aussi Symphonie “du destin”), puis la plus narrative (mais pas que descriptive…) 6ème Symphonie « dite pastorale » : les deux partitions rendent compte idéalement du génie orchestral beethovénien. Formidable machine rythmique et pulsionnelle de la 5ème (dont tout le flux prépare ici à l’éruption jubilatoire de l’Allegro final), et captivante agrégation cellulaire qui, dans la 6ème, au fur et à mesure de son plan dramatique et organique, organise et structure le plan « climatique » de la symphonie. Victor Julien-Laferrière n’hésite pas à faire rugir les timbres, s’appuyant évidemment sur la très forte identité naturelle de cuivres ”historiques” (quand le reste de l’instrumentation est moderne….), et même à forcer parfois le trait dans la caractérisation de chaque pupitre, notamment les vents et les bois, parfois de façon outrée, avec certains tutti volontairement “épais”. Mais cela ne manque ni de nervosité, et encore moins de tempérament ! L’intensité et la volonté y sont extraverties, parfois furieusement mises en avant. C’est servir franchement l’impétuosité d’un Beethoven révolutionnaire, pour le plus grand bonheur d’un public venu majoritairement d’Occitanie et de Provence, mais aussi au-delà. Les nombreux rappels soulignent que la 5ème édition est vivement souhaitée et déjà particulièrement attendue !…
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CRITIQUE, festival. NÎMES, 4èmes Rencontres Musicales de Nîmes (Jardins de la Fontaine), les 30 & 31 août 2024. Alexandre Kantorow, Liya Petrova, Aurélien Pascal (& Friends…) / Orchestre Consuelo / Victor Julien-Laferrière (direction). Photos (c) Lewis Joly.