La veille d’une enthousiasmante production du trop rare “Aladin et la lampe magique” de Nino Rota, nous avons pu assister à une nouvelle production de Ariodante de Georg Friedrich Haendel (au Teatro Verdi de Martina Franca), troisième production lyrique de cette 50ème édition du Festival della Valle d’Itria (aux côtés d’une production de “Norma” de Vincenzo Bellini que nous avons malheureusement manquée…).
Avouons d’emblée avoir été beaucoup moins séduits par la production “passe-partout” de l’allemand Torsten Fischer (à qui était confiée la mise en scène de cet « Ariodante » haendélien), dans une scénographie “minimaliste” de Herbert Schäfer, qui aurait pu s’adapter à n’importe quel titre du répertoire (ou presque). On nous propose ici un plateau nu, composé de rectangles blancs s’encastrant les uns dans les autres comme des poupées russes. Tous les personnages sont en costumes (chics) noirs ou blancs (dont deux robes de mariées, pour jouer sur les quiproquos de la narration…), quasiment les deux seules “couleurs” du spectacle, si ce n’est l’apparition fugitive d’un tableau de Fernand Khnopff, et d’une grande lune au moment où l’air le plus célèbre de la partition est entonné, le célébrissime “Scherza infida”, pendant lequel le héros éponyme se meut en agitant au-dessus de sa tête le voile de sa promise (faussement infidèle) Ginevra. Les chanteurs-acteurs font ce qu’ils peuvent pour meubler le temps, et une fois l’effet outrancier du maquillage (alla joker) de Polinesso passé, l’on s’ennuie ferme pour ce qui est de la partie scénique…
Par bonheur, la distribution offre autrement de satisfaction, même si le rôle-titre – tenu ici par la mezzo italienne Cecilia Molinari – nous a déçus. Remarquable dans les arias véloces, où sa pyrotechnie vocale impressionne de fait grandement, voilà encore une mezzo pratiquement dépourvue de registre grave, délivrant ainsi un “Scherza infida” manquant totalement d’émotion, car ce sont les notes graves qui justement la suscite dans cet air de déploration parmi les plus célèbres du répertoire baroque. Ses partenaires se montrent plus à propos, à commencer par le grand triomphe de la soirée – qui est sans conteste le Polinesso jubilatoire de la mezzo italienne Teresa Iervolino. Tout au plaisir de chanter, elle vocalise avec rage et gourmandise ce rôle qu’elle taille à sa mesure. Elle aurait été un magnifique Ariodante, mais elle donne ici toute sa puissance à ce personnage somme toute bien ordinaire qu’est Melisso, en donnant notamment corps à cette histoire de jalousie bien pâlotte. Bravo à elle ! De son côté, Francesca Mazzuli Lombardi fait profiter Ginevra de son instrument plein et charnu, et lui donne ainsi une réelle force, bien que Haendel n’ait pas développé davantage son personnage. Charmante Dalinda, Theodora Raftis se révèle parfaitement à sa place en suivante bernée, grâce à sa voix joliment acidulée, franche et bien timbrée, la fausse candeur de son incarnation et ses beaux piani. En Lurcanio, le jeune ténor italien Manuel Amati (originaire de Martina Franca !) est l’une des belles découvertes de la distribution, et enthousiasme dans ses trois arias, grâce à une agilité parfaitement exécutée et un magnifique sens musical. Le baryton-basse Biagio Pizzuti, quant à lui, donne à entendre un touchant Roi, à la douceur paternelle attachante, quand le ténor Manuel Caputo offre un Odoardo sans histoire.
Enfin, pour sa troisième et dernière année de résidence au festival apulien, le chef italien Federico Maria Sardelli, placé à la tête de son ensemble Il Modo Antiquo, alterne aimables colorations orchestrales (les nombreux intermèdes dansés) et rage, larmes, flamme et éclats de rire quand la partition les réclame. Le succès finalement remportée par la soirée lui doit beaucoup !
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CRITIQUE, festival. MARTINA FRANCA (Italie), 50ème Festival della valle d’Itria (Teatro Verdi), le 29 juillet 2024. HAENDEL : Ariodante. C. Molinari, T. Iervolino, F. Lombardi Mazzuli, T. Raftis, M. Amati… Torsten Fischer / Federico Maria Sardelli. Photos (c) Clarissa Lapolla.