Pour son 50ème anniversaire, le Festival della valle d’Itria (sis à Martina Franca, cette petite ville-pépite des Pouilles située entre Bari et Taranto) a étonnamment renié les choix artistiques qui ont fait sa renommée depuis un demi siècle, c’est-à-dire la résurrection de partitions rares voire totalement tombées dans l’oubli (à l’instar du festival de Wexford, en Irlande), et les deux premiers ouvrages de cette édition-anniversaire affichaient les “tubes” opératiques que sont Norma de Bellini et Ariodante de Haendel – et c’est donc bien le troisième titre qui nous a fait accourir dans les Pouilles pour voir et entendre le merveilleux (au sens propre comme au figuré..) “Aladin ou la Lampe magique” de Nino Rota, créé au Teatro di San Carlo de Naples en 1968.
Une mise en scène magique, digne d’un conte des Mille et Une Nuits !
Tout le monde connaît Nino Rota (1911- 1979), remarquable compositeur de musiques de film et collaborateur de Federico Fellini, Francis Ford Coppola, Franco Zeffirelli ou Luchino Visconti, mais qui sait vraiment qu’il a également écrit des concertos, des symphonies, de la musique de chambre… et pas moins de onze opéras ! La musique de “Aladin” est à la fois agréable et savante, voire rutilante, faisant sans cesse référence aux harmonies du Moyen-Orient, réaménagées et revisitées avec goût, s’inspirant ici de Puccini, là de Rimski-Korsakov (et même par endroit de Richard Strauss et Dmitri Chostakovitch !). L’intrigue est simple : convaincu par un mage de conquérir une lampe extraordinaire, Aladin la garde pour lui et épouse la fille du Sultan. Le Magicien s’empare alors de la lampe et de la Princesse, jusqu’à ce qu’Aladin les lui reprenne, pour convoler à nouveau avec sa douce et belle Princesse.
Pour servir cette mirifique partition, aux infinis chatoiements et luxuriances, un seul ténor fait face à pas moins de cinq voix graves. Le ténor Marco Ciaponi, qui ne quitte pratiquement jamais la scène, campe un vaillant Aladin, au lyrisme ardent et à la voix claire superbement projetée. Ces autres messieurs, très impliqués, se caractérisent à la fois par la musique qui leur est dévolue, et par une gestuelle taillée au cordeau, à commencer par le terrifiant Magicien de la basse sicilienne Marco Filippo Romano, à la voix aussi noires que ses machiavéliques projets, et qui tient également ici le rôle du Roi, à l’inverse facétieux et jouisseur bien que cupide, les deux personnages antinomiques démontrant tout l’étendue du jeu scénique du chanteur. De son côté, Rocco Cavalluzzi campe un inquiétant Grand Vizir, au superbe registre grave, tandis que le noble Génie de la lampe de Giovanni Accardi ou l’hilarant Génie de l’anneau d’Alexander Ilvakhin font mouche. Si l’Orfèvre d’Omar Cepparolli n’accroche guère l’oreille, le trio de Compagnons d’Aladin (Pepe Hanan, Davide Zaccherini, Zachary McCullough) s’avère particulièrement savoureux. Les dames ne sont pas en reste, avec la Princesse sensuelle et superbement lyrique de la soprano italienne Claudia Urru tandis que la mezzo Eleonora Filipponi prête ses maternels accents à la génitrice du héros. Une mention encore pour la Suivante de la Princesse Anastasia Churakova. L’excellent Choeur du Teatro Petruzzelli (dirigés par Marco Medved) et les nombreux enfants de la Maîtrise de la Fondation Paolo Grassi (dirigés par Angela Lacarbonara) ne sont pas en reste, et contribuent pour beaucoup, par leur prestance et leur homogénéité, à la réussite d’ensemble – sans oublier les deux danseurs captivants que sont Emanuela Boldetti et Samuel Moretti, dans les tableaux dansés qui leur sont confiés.
La mise en scène de Rita Consentino est tout simplement magique, digne d’un conte des Mille et Une Nuits. Fluide et parfois irréelle, elle déploie tout l’ensorcellement des fastes orientaux, les différents lieux de l’action étant évoqués grâce à une scénographie inventive (signée Leila Fteita, qui a conçu également les somptueux costumes orientaux), magnifiée par les lumières de Francesco Siri. Au tout début, un enfant reste seul, après un cours avec une professeure et ses camarades de classe, devant une immense bibliothèque blanche qui sera l’unique mais ingénieux dispositif scénique. Il en choisit un livre qu’on imagine être celui des 1001 Nuits, et son imagination s’envole tandis que l’action peut commencer. Cette bibliothèque cache des panneaux qui, en les ouvrant, laissent apparaître la grotte magique où se trouve la fameuse lampe ou le somptueux palais que la Lampe magique fait apparaître à la demande du héros, pour l’offrir comme résidence à sa bien aimée la Princesse Badr-al-Budur. Magique également la première apparition de la Princesse, en ombre chinoise alors qu’elle prend un bain derrière un paravent blanc qui laisse deviner ses formes pulpeuses, une image d’une inouïe sensualité… Bref, un pur enchantement visuel !
Dernier magicien de la soirée, l’excellent chef italien Francesco Lanzillotta qui obtient des trésors de sonorités luxuriantes de l’Orchestre du Teatro Petruzzelli de Bari. Tous les instrumentistes de la phalange apulienne font assaut de précision rythmique et de rutilance chromatique, riche en mille et une couleurs et nuances (orientalisantes). Le chef est sur tous les fronts, chantant chaque strophe en couvrant des yeux les solistes comme les choeurs, tout en portant une suprême attention aux équilibres dynamiques de la fosse. Bravi tutti !
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CRITIQUE, festival. MARTINA FRANCA (Italie), 50ème Festival della valle d’Itria (Cour du Palais Ducal), le 30 juillet 2024. NINO ROTA : Aladin ou la lampe magique. M. Ciaponi, C. Urru, M. F. Romano, E. Filipponi… Rita Cosentino / Francesco Lanzillotta. Photos (c) Clarissa Lapolla.