samedi 14 septembre 2024

CRITIQUE, festival. BAYREUTH, festspielhaus, le 4 août 2024. WAGNER : Tannhäuser. K. F. Vogt, E. Teige, E. Gubanova, M. Eiche… Tobias Krätzer / Nathalie Stutzmann.

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Mike Smith
Mike Smith
Mike passe fait des chroniques de spectacles, en particulier pour la danse et à l'opéra. Il est basé au Royaume-Uni, mais travaille à l'International. Il est également journaliste de voyage. Il enseigne l'histoire ancienne et le journalisme à l'Université de Cardiff, au Pays de Galle.

 

Au Festival de Bayreuth, preuve est faite qu’une mise en scène et une interprétation imaginative, qui conservent l’esprit et l’intention d’un opéra, peuvent fonctionner malgré ce qui semble à première vue une vision étrange – et même blasphématoire – de Tannhäuser. Le metteur en scène allemand Tobias Krätzer et son équipe de création fusionnent la performance réelle sur la scène de Bayreuth avec la vidéo en coulisse et les pré-3enregistrements, ce qui s’apparente à première vue telles d’irrespectueuses libertés  avec l’œuvre, ajoutant même de nouveaux personnages. Il y a même un spectacle de cabaret pendant l’entracte sur le « lac » proche du festspielhaus, qui non seulement complète – mais devient même partie intégrante – de la narration.

 

 

L’année dernière, nous sommes allés à Wartburg, ville où Wagner a placé l’action de son opéra, telle la légende médiévale d’une compétition de chant dans le château de cette ville. Nous avons traversé la forêt de Thuringe en voiture, puis nous sommes arrivés à Bayreuth. C’est ainsi que la production de Tobias Krätzer commence avec une vidéo projetée sur un écran géant, montrant ce magnifique château sur son escarpement rocheux, survolant la forêt de Thuringe… pour montrer un fourgon Citroën vintage (avec un lapin sur son toit) et, à l’intérieur, Tannhäuser qui s’avère être le clown d’une troupe itinérante de circassiens. La camionnette Citroën est conduite par une Vénus enveloppée dans une robe léopard tandis que ses compagnons, le nain Oskar (celui du Tambour de Schlondorff) et l’interprète-star du cirque, la drag queen “Le Gateau au Chocolat”, complètent cette équipe d’artistes révolutionnaires défiant les normes et traçant leur route à travers le monde. C’est le Venusberg libéré que Tannhäuser a rejoint, après avoir rejeté l’ancien monde de la Wartburg. C’est bien sûr le monde d’Elisabeth aussi qu’il a rejeté. Cependant, lorsque Vénus renverse intentionnellement un garde de sécurité d’un Burger King qui les a surpris en train de voler de l’essence, Tannhäuser retourne à la réalité et rejette ce monde  des plaisirs, tandis qu’un cycliste de passage lui dit d’aller à Rome…

 

 

Elisabeth est ici interprétée par l’exquise et luxuriante soprano norvégienne Elisabeth Teige, qui offre un étonnant contraste dramatique et vocal avec la Vénus d’Ekaterina Gubanova. Teige possède un registre aigu puissant, mais jamais forcé. Associé à la douceur du ténor de Klaus Florian Vogt, nous avons là deux chanteurs parfaits dans leur rôle respectif. Pendant qu’ils chantent à la Wartburg / à Bayreuth – avec l’impressionnant Landgrave de Günther Groissböck -, une vidéo montre Vénus et ses collègues grimpant sur le balcon du Festpielhaus pour déployer cette bannière : « VOULOIR LIBREMENT. FAIRE LIBREMENT. PROFITER LIBREMENT », comme un slogan des jours révolutionnaires de Wagner. Une fois revenus à l’intérieur de l’opéra, le drame du concours de chant se reflète dans les pitreries de Vénus, de Gâteau au Chocolat et d’Oskar. Cependant, le spectacle reste désespérément sombre, car Elisabeth montre les cicatrices de ses poignets après avoir tenté de se suicider après avoir perdu Tannhäuser, et l’amour non partagé de Wolfram est également accentué. Le chant de Markus Eiche est d’une beauté et d’un romantisme renversants tout au long de l’œuvre et l’aria la plus tendre de l’ouvrage (accompagnée à la harpe) « O du mein holder Abendstern » lui est décerné.

Même si l’amour non partagé est déjà clairement apparent, nous devons d’abord avoir cette compétition dans laquelle Siyabonga Maqungo campe un Walther von der Vogelweide, à la voix charmante et appropriée. Le troisième acte commence par un retour au Venusberg, qui a été réduit en tas de ferraille. Le fourgon est une épave et lorsque les chœurs arrivent en haillons, ils y récupèrent ce qu’ils peuvent. Ayant abandonné sa robe de la Wartburg, Elisabeth insiste pour que Wolfram enfile le costume de clown de Tannhäuser et ils font l’amour. Elle se suicide ensuite. C’est dans ce contexte désespérément triste que Wolfram chante son dernier air. Tannhäuser passe du désespoir à l’extase, puis sombre à nouveau dans l’abattement. Pour ajouter à la désillusion artistique, un énorme panneau publicitaire montre que Gateau au Chocolat fait désormais partie du “courant dominant”, et fait la promotion de montres incrustées de diamants. Dans un renversement de La Pietà de Michelangelo, Elisabeth est descendue dans les bras de Tannhäuser. L’opéra se termine par une projection vidéo de Tannhäuser et Elisabeth (plutôt que Vénus) traversant la campagne dans leur camionnette. Je n’étais pas le seul pleurer lors de cette soirée où la musicalité et le chant ont été des plus bouleversants. Oui, la production est divertissante et intelligente, mais c’est avant tout la plus haute qualité du chant et la musicalité de l’orchestre qui dominent, et à ce titre la symbiose de la cheffe française Nathalie Stutzmann avec ses interprètes et la musique ne faiblit [heureusement] jamais tout au long de la soirée.

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CRITIQUE, festival. BAYREUTH, festspielhaus, le 4 août 2024. WAGNER : Tannhauser. K. F. Vogt, E. Teige, E. Gubanova, M. Eiche… Tobias Krätzer / Nathalie Stutzmann. Photos (c) Enrico Nawrath.

 

VIDEO : Version intégrale de « Tannhäuser » de Richard Wagner au Festival de Bayreuth

 

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