Casse-Noisette version Rudolf Noureev (1985) se devait tôt ou tard de reprendre possession des planches de l’Opéra Bastille, chose faite pour les fêtes de fin d’année 2023. Ces 9 ans d’absence permettent aujourd’hui de mesurer ce qui fait toujours l’éloquente réussite de la chorégraphie, où participe l’ensemble du Corps de Ballet, et destinée à toute la famille.
Dorothée Gilbert et Guillaume Diop (Le Prince et Clara)
Le mouvement des grèves si fréquentes à l’Opéra de Paris, a passablement bouleversé le bon fonctionnement des représentations et des distributions requises – après les premières (préservées) avec le duo marquant réunissant les très convaincants Inès McIntosh (Clara) nommée Première Danseuse, et l’exceptionnel Paul Marque, voici un autre couple tout aussi séduisant et peut-être mieux accordé à notre avis : la nouvelle Étoile Guillaume Diop (le Prince Blanc / Drosselmeyer), et Dorothée Gilbert en Clara, deuxième distribution de grande classe.
Comme Marque, Diop soigne chaque figure qui exprime la beauté altière du Prince, avec cette élégance naturelle et flexible, occupe l’espace avec caractère ; leur esthétisme continu porte la marque de l’École parisienne.
Sourires radieux, aisance et souplesse, Guillaume Diop met à l’aise et forme un pendant, un égal à Dorothée Gilbert dont l’équilibre et l’esthétique sont tout autant délectables. Le jeune homme déploie une facilité qui compense parfois son manque de profondeur dans l’approche du personnage : un prince idéal capable d’éblouir la jeune Clara qui à ses côtés d’adolescente endormie, devient jeune femme désirée. Gilbert quand à elle n’a pas la même expérience que son partenaire : sûre, et plus mature, la danseuse allie idéalement technicité et sobriété, précision et naturel. Tout le second acte célèbre leur couple d’une beauté irrésistible… la concrétisation d’un absolu, amoureux et romantique.
Aux côtés des deux Étoiles, réunies avec charme, comme un modèle de transmission générationnelle, le ballet de Noureev a le mérite de solliciter tous les danseurs de l’Institution : jeunes apprentis de l’Ecole de danse (les enfants agités devant le théâtre de marionnettes et sous le sapin immense ; peuple des rats paraissant au début du rêve de Clara…) ; sans compter le Corps de ballet très sollicité (24 danseuses en tutu enneigés, puis 12 couples pour le Finale) : on note ici et là des défaillance de synchro, des pas incertains, des ports de mains qui sont négligés… en réalité vétilles.
Qu’importe, ailleurs, dans la série des tableaux enchanteurs qui forment le songe de Clara, l’élégance efface toute réserve face au pas de deux des danseurs arabes : le Premier danseur (depuis 2022) Jérémy-Loup Quer y éblouit par sa prestance longiligne, sa souplesse et son naturel, sa grâce qui perce et atteint un absolu visuel… prochaine Étoile ? Pour nous c’est une évidence, car il balaie par sa présence tous ses partenaires…
Jérémy-Loup Quer, en danseur arabe
La suite des tableaux collectifs éblouit toujours autant, – musique flamboyante et raffinée de Tchaikovsky à l’appui : ainsi se concrétise le rêve de Clara endormie, son Casse-noisette dans les bras, selon les didascalies de Noureev. En réalité le ballet de circa 1h40 ne rend pas compte de la fabuleuse épopée de Clara / Marie dans le texte originel de ETA Hofmann, sa quête de la clé qui lui ouvrira l’oeuf magique et musical offert la veille de Noël par son parrain Drosselmeyer ; la découverte des quatre royaumes, les manigances de la fée Dragée,… autant d’épisodes que l’on retrouve dans le 2è acte et qui en explique l’étonnante diversité narrative. Du reste superbement mis en musique par Piotr Illiytch, orfèvre narrateur… La Valse des fleurs enchante dans un trio percutant ; même la Pastorale Louis XV déploie style et costumes justes qui renvoient à la délicatesse des porcelaine de Saxe XVIIIè. Noureev connaît son affaire et ses choix visuels, la conception des ensembles prend en compte la péripétie originelle.
Contre certains qui fustigent une chorégraphie « dépassée », poussiéreuse, de surcroît « suspecte », en particulier dans la pseudo relation du vieux Drosselmeyer avec la jeune Clara, la part du rêve, la conception globale de Noureev qui permet à tous les éléments du Ballet de l’Opéra de Paris de participer (Étoiles, Premiers danseurs, Sujets, Coryphées, Quadrilles, …et les plus jeunes écoliers) demeure un modèle inégalé de spectacle équilibré et contrasté. Que Drosselmeyer caresse le visage rassuré de Clara en fin d’action, quand après les séquences du rêve, la scène a retrouvé la réalité de Noël en famille, – que faut-il y voir en effet ? N’est ce pas un geste de tendresse ? ; celui d’un vieux magicien attendri, qui le temps d’une soirée aura exaucé les vœux d’une jeune fille à qui les poupées et autres parures conformes, ne convenaient plus. De Clara / Marie, le ballet de Noureev souligne l’ardent désir d’émancipation, la volonté de vivre des aventures épiques, l’imaginaire de fait délirant mais fabuleux qui convoque des personnages fantastiques (dont les jouets qui s’animent). Ceux du génial ETA Hoffmann dont il faut relire le conte de 1816 pour en retrouver les véritables enjeux dramatiques et poétiques. L’Opéra de Paris sera bien avisé de ne pas céder aux sirènes wokistes de tout bord dont les raccourcis discutables ne doivent en rien nous déposséder de ballets aussi riches et oniriques que ce Casse-Noisette chorégraphié par le légendaire Noureev.
Photos : © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Drosselmeyer et Clara, en fin d’action
VIDÉO – voir en replay jusqu’au 12 juillet 2024 : Casse Noisette (déc 2023) / Opéra bastille sur Culturebox / Francetv :
https://www.france.tv/spectacles-et-culture/theatre-et-danse/5559405-casse-noisette.html
Prochain ballet de Noureev à l’Opéra de Paris / Opéra Bastille : Don Quichotte, du 21 mars au 24 avril 2024 – Plus d’infos ici : https://www.operadeparis.fr/saison-23-24/ballet/don-quichotte#calendar