Pour sa 37è édition (déjà), le Festival Musique Sacrée de Perpignan rehausse
encore les couleurs de la ville, capitale de la Catalogne française, … cité culturelle liée à quantité de peintres illustres, de Rigaud à Terrus, sans omettre Picasso ou Dali (pour lequel la gare rappelons-le, était le « Centre du monde »)… Il suffit de visiter le musée Hyacinthe Rigaud pour mesurer la très riche activité artistique qui s’y est développée… Le temps de cette nouvelle édition du Festival porté, conçu par son énergique directrice, Elisabeth Dooms, Perpignan vibre d’une teinte spécifique ; la ville est le centre de la fraternité, un temple nouveau des métissages et des rencontres multiples dans la tolérance, le respect, l’amour, ainsi invoqués, incarnés tout au long des programmes et spectacles, donnés pendant notre séjour, dans la très vaste nef des Dominicains. Le festivalier peut entre deux concerts y réfléchir, méditer sur le sens et l’exemplaire contenu des programmes présentés, ce avec d’autant plus de facilité que la politique des tarifs encourage tous les publics à rejoindre le site. Aux côtés des grands concerts du soir, payants, de nombreux spectacles sont en accès libres, offrant à tous, le plaisir d’y écouter des artistes prestigieux. A Perpignan, la culture vivante est accessible, engagée, éclectique, « facile » : les spectateurs peuvent y rencontrer les artistes, lesquels sont invités à présenter leur programme à l’occasion d’une rencontre d’avant concert. D’une diversité étonnante, les 4 concerts auxquels nous avons assisté, les 6 puis 8 avril derniers, le démontrent sans faille : la haute qualité, l’originalité, la justesse, et souvent la poésie, s’y déploient de façon remarquable.
____________________________________________
Jeudi 6 avril 2023, 18h30. Bonheur que d’écouter deux instrumentistes virtuoses, en liberté, portés, inspirés par le jeu subtilement maîtrisé des correspondances. En dialogue continu avec le pianiste Bruno Fontaine, le violoncelle en grâce de Sonia Wieder-Atherton caresse et murmure dans le programme « Chants juifs », chaque mélodie juive, entre mélancolie abyssale et transe rythmique, autant de motifs qui fouillent dans la mémoire et construit une conscience faite de deuil, de perte, de combat, d’espérance. Le plaisir né de ce programme intimiste et comme halluciné, vient d’une très intelligente filiation entre les chants juifs, (leur ancrage mélancolique ou leur ivresse dansante), et la Sonate Arpeggione de Schubert, jouée comme sa résolution et son couronnement final. Dont la douceur fraternelle semble jaillir soudain comme régénérée dans cette perspective musicale inédite : la souplesse du jeu de la violoncelliste, les phrasés ciselés, la sobriété du style et son articulation… enchantent ; la bouleversante simplicité des thèmes, leur enchaînement et chaque reprise renouvelée à chaque réalisation,… tout est là, exprimé avec une fine sensibilité. Le violoncelle déploie et incarne ce « vibrato de l’âme » qui est le thème fédérateur de la 37ème édition du Festival. Le sujet est ainsi magnifiquement incarné par ce premier concert de notre séjour perpignanais.
____________________________________________
Jeudi 6 avril 2023, 20h45. Autre thème familier du Festival, les métissages. Une illustration saisissante en est offerte avec le 2ème programme proposé dans l’église des Dominicains : intitulé « Lumio », il accorde les chants distincts de 2 formations, 2 entités au fort tempérament musical : les 6 chanteurs corses d’A Filetta et les 2 voix de Cri du Caire (le ténor Abdullah Miniawy qui est aussi auteur-compositeur / le saxophoniste compositeur Peter Corser). Abdullah Miniawy rééclaire la poésie soufie de ses propres textes ; le soliste propose un dialogue avec les 6 voix d’A Filetta ; réponses, imprécations, prières… tout œuvre pour un partage fraternel où les voix, intenses, protagonistes (chants individuels et somptueux saxo) s’engagent dans une scène ardente, contrastée, elle aussi vibrante.
Le programme a été créé l’été dernier à Noirlac et poursuit son cycle de représentations au succès légitime ; s’y répondent les voix très individualisées, leur prière, leur incantation en partage que la ferveur et le geste intensifient jusqu’à un appel à la prise de conscience ; sur le désordre du monde, contre l’esprit de guerre et l’absence de fraternité.
A FILETTA dans une intervention finale (à travers la voix de son « leader » Jean-Claude Acquaviva) cite Aragon et René Char dont la justesse et le réalisme philosophique rayonnent par leur pertinence lumineuse. Quand la culture s’engage et ose comme ce soir penser le monde, exhorter à une prise de conscience, l’expérience du concert en sort grandie, exemplaire même.
Photos : © Michel Aguilar
_______________________________
CRITIQUE, concerts. 37ème FESTIVAL de musique sacrée de Perpignan, le 6 avril 2023. Sonia Wieder Atherton / chants juifs ; Lumio / A Filetta / Cri du Caire.
Prochaine critique : samedi 8 avril 2023. PERPIGNAN, 37ème Festival de musique de Perpignan (Eglise des Dominicains) : Diana Baroni (« Mujeres ») / La Tempête (Jerusalem).
_______________________________
LIRE aussi / Retrouvez ici : notre présentation du Festival de Musique Sacrée de Perpignan 2023 – 37ème édition :
https://www.classiquenews.com/perpignan-festival-de-musique-sacree-vibrato-de-lame-25-mars-8-avril-2023/
Notre ENTRETIEN avec Elisabeth DOOMS, directrice du Festival de Musique Sacrée de Perpignan :
https://www.classiquenews.com/entretien-avec-elisabeth-dorme-directrice-artistique-du-festival-musique-sacree-de-perpignan/
_______________________________
