vendredi 19 avril 2024

CRITIQUES, concerts. MONACO, les 1er et 2 avril 2023. BARTOK, LIGETI, SCHOELLER, REICH. Quatuor Diotima.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique et à l’opéra - et notamment avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

 

 

PRINTEMPS DES ARTS DE MONTE CARLO 2023  –  C’est la 2ème année de mandat pour le compositeur français Bruno Mantovani, qui a succédé à Marc Monet l’an passé pour prendre la tête du célèbre Printemps des Arts de Monte-Carlo, toujours articulé sur 4 séries de concerts (désormais du jeudi au dimanche) entre mars et avril. Le thème majeur de cette 39ème édition était la musique nord-américaine du XXème siècle « Musiques d’Amérique et d’ailleurs », et donc pas que… comme en attestent deux des trois concerts de clôture du festival (samedi et dimanche 1er et 2 avril), confiés au fameux Quatuor Diotima (Yun-Peng Zhao et Léo Marillier aux violons, Frank Chevalier à l’alto et Pierre Morlet au violoncelle), et consacrés essentiellement aux quatuors des compositeurs hongrois Béla Bartok et György Ligeti. Photo ci dessous © Quatuor Diotima.

 

 

Ligeti, Bartok, Reich… 

Les DIOTIMA à MONTE-CARLO

 

 

 

Le premier des deux concerts, sis au Théâtre des Variétés (quartier de la Condamine), est donc dévolu à ces deux monuments de la littérature chambriste hongroise que sont le 6ème (et dernier) Quatuor à cordes de Béla Bartok (1881-1945) et le Premier de György Ligeti (1923-2006), intitulé « Métamorphoses nocturnes », au milieu desquels aura résonné une pièce de Philippe Schoeller (1957- ), « Extasis » pour quatuor à cordes (création mondiale, commande du Printemps des Arts). Le concert débute avec le Premier quatuor de Ligeti, que les Diotima viennent juste de sortir au disque (Pentatone), et qualifié par Bruno Mantovani comme « 7ème Quatuor de Bartok », dans un long préambule didactique en avant-propos au concert. C’est avec cette partition dans ses bagages que Ligeti fuit le régime totalitaire hongrois en 1956, pour se réfugier à Vienne. Force est de constater en effet que l’œuvre est encore sous l’influence de Bartók, avec une dimension rythmique et des contrastes abrupts qui irriguent l’écriture. Les Diotima en font ressortir les reliefs sans jamais forcer le trait, soignant la qualité du son et les couleurs générées par les dix-sept variations d’un unique thème originel. La synergie et la vigueur du jeu des quatre partenaires sont fascinantes, au sein d’une trajectoire où l’humour et l’inspiration ligetienne côtoient des instants presque tragiques, tels ces « pizzicati » féroces au violoncelle, qui strient brutalement l’espace. L’interprétation aussi sensible qu’athlétique du quatuor français est rien moins qu’hypnotique, livrant tout à la fois la rigueur et l’imaginaire foisonnant de le Ligeti.
En guise de pont avec le dernier quatuor de Bartok, dans ce concert donné d’un bloc sans entracte, une composition a donc été commandée spécialement au français Philippe Schoeller, qui présente lui-même son nouvel opus, comme « un hommage » à la musique de ses illustres confrères, la sienne voulant également faire écho à nos interrogations contemporaines et aux défis de notre temps, avec une partie médiane évoquant le « néant », dixit encore le compositeur, puis un finale où l’énergie se libère en installant une vraie pulsation rythmique.
Le 6ème quatuor de Bartok clôt le concert, un dernier opus que le compositeur hongrois écrivit peu avant son départ pour les États-Unis, au lendemain de la mort de sa mère. La veine populaire imprègne toujours son ultime quatuor, mais c’est la musique militaire que choisit Bartók dans le premier scherzo (Mesto-Marcia), tandis que le second (Mesto-Burletta) adopte un ton parodique, voire sardonique, évoquant le violon du diable de Stravinski. Le dernier mesto, seul mouvement lent véritable, rejoint les aspects de cavatine de son premier quatuor, empreint d’un sentiment tragique exaspéré, sans l’espérance du « retour à la vie » que suggérait le premier opus. Les Diotima communiquent tout à la fois la force et la fragilité du propos, le désespoir et l’immanente beauté de ce chant profond.

Le lendemain (2 avril), c’est dans la magnifique salle de conférence du non moins sublime Musée Océanographique, sis sur le fameux « Rocher », que nous les retrouvons, pour le Premier Quatuor de Bartok, que nous venons d’évoquer, et le deuxième de Ligeti. Le premier ouvrage est un « Chant funèbre », c’est ce que nous dit Bartók, au sujet du Lento inaugural, car c’est sa rupture avec la violoniste Stefi Geyer qui lui fait composer l’un des plus beaux chants d’amour de la littérature du quatuor à cordes. Cette cavatine est de nature toute beethovénienne, unissant rigueur du contrepoint et liberté des conduites linéaires, et la tension expressive est ici particulièrement poignante sous les archets des interprètes. Et comme dans ceux de Beethoven, ce quatuor de Bartok – en trois mouvements enchaînés – conduit l’auditeur vers la lumière, dans une accélération des tempi et l’expression d’une force nouvelle où surgit le chant populaire. La synergie des archets des Diotima, autant que l’homogénéité des timbres, servent magistralement l’intériorité du message.
Quant au Deuxième Quatuor de Ligeti, il s’inscrit dans sa phase de maturité, pendant laquelle il explore les ressorts de la micro-polyphonie et l’art de la mobilité dans l’immobilité. C’en est fini du dessin mélodique et de la netteté des contours au bénéfice des textures et du timbre qui priment dans l’écriture de cette pièce composée en 1968, soit quatorze années après son premier opus. On en retient surtout la pulsation et les pizzicati qui sont à l’œuvre dans le mouvement central, « Come un meccanismo di precisione », dont les procédés de déphasage rythmique – qu’affectionnait le compositeur – sont rendus avec la plus grande finesse par les quatre virtuoses. Le mouvement d’humeur que constitue le quatrième mouvement, très court, présage, sous les archets impitoyables des Diotima, le courant « saturationniste » et ses excès d’énergie.

Enfin, la soirée se termine par le génial « Different trains » de Steve Reich, pour quatuor à cordes et bande magnétique – qui partage avec le non moins fameux « Helicopter quartet » de Stockhausen la grâce de l’association entre le mœlleux charnel des cordes et la sensualité froide des machines. Cet ovni musical est issu d’un mode de création où des paroles et des textes préenregistrés fusionnent avec un texte musical dévolu aux quatre musiciens. Les trois volets de « Different Trains », composé en 1988, évoquent les trains de son enfance pris pour rejoindre l’un ou l’autre de ses parents divorcés, des A/R entre Los Angeles et New-York (premier mouvement) avec, en sinistre écho, les trains pris par les enfants, juifs comme lui, en Europe pendant la guerre (au II) et le témoignage des rescapés, réfugiés aux Etats-Unis (mouvement 3). Le traitement par strates met en jeu des techniques répétitives minimalistes, très proches des sons sans cesse renouvelés par les rythmes ferroviaires.  Et c’est, de la part des Diotima,  un tour de force d’une incroyable complexité et superbement réussi – grâce à la maîtrise, à la régularité obstinée, à la précision rythmique de ces quatre excellents musiciens, toujours à l’écoute les uns des autres. Le public monégasque est aussi conquis que nous, et manifeste bruyamment son contentement. L’un des instrumentistes vient cependant saluer tant de ferveur (et les espoirs d’un bis) en expliquant que, vue la nature de la dernière pièce, un bis serait parfaitement déplacé…

 

 

 

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CRITIQUES, concerts. MONACO, Théâtre des Variétés et Salle de conférence du Musée Océanographique, les 1er et 2 avril 2023. BARTOK : Quatuor à cordes N°1 et 6. LIGETI : Quatuor à cordes N° 1 et 2. P. SCHOELLER : « Extasis » pour quatuor à cordes. S. REICH : « Different Trains » pour quatuor à cordes et bande magnétique. QUATUOR DIOTIMA –  Photos © Droits réservés.

 

 

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VIDÉO : le Quatuor Diotima au Printemps des Arts de Monte-Carlo

 

 

 

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