Le retour réjouissant et triomphant du Czech Philharmonic à la Philharmonie de Paris ! Les 22 et 23 mars derniers, la phalange Pragoise, fondé en 1896 avec un concert inaugural dirigé par Antonin Dvořák lui-même, donne à Paris les derniers concerts de leur tournée européenne – qui a commencé le 4 mars à Valencia. Après l’Espagne, l’Autriche, l’Allemagne et la Belgique, c’est au tour de la Philharmonie d’accueillir l’orchestre dirigé par le chef russe Semyon Bychkov. Le dernier jour de leur tournée, le 23 mars, Bertrand Chamayou est au piano pour le rare Concerto pour piano de Dvořák avant de livrer une éblouissante version de la Symphonie N°9, dite « Du nouveau monde ». Semyon Bychkov, actuel directeur musical et chef principal (depuis la saison 2018/2019), tire le meilleur de la formation tchèque, marquée par l’empreinte des Rafael Kubelík, Karel Ančerl et Václav Neumann. Le concert convainc à tel point qu’on considère Bychkov et le Czech Philharmonic comme l’un des plus heureux tandems du monde orchestral à l’heure actuelle…
Le Concerto pour piano, composé en 1876 (le compositeur a alors 35 ans), est un curieux mélange de Liszt, de Chopin, de quelques Mozart et d’éléments folkloriques. Ainsi, l’impression de mosaïque est inévitable, mais Bertrand Chamayou y donne magistralement une unité. Dans le premier mouvement, la sonorité cristalline du piano émerge tout de suite du tissu orchestral lui-même dense. Ce mouvement déjà grandiose et très symphonique trouve un écho dans le deuxième mouvement qui, malgré l’indication Andante sostenuto, est construit comme si la partie du piano, toute « chopinienne » (surtout au début), avait été plaquée sur une symphonie. Un emboîtement qu’on peut prendre de façon soit maladroite soit habile selon les points de vue… Mais le pianiste français en offre une lecture inspirée, qui va au-delà d’une simple succession de motifs et d’idées très différents. Tel est également le cas pour le troisième mouvement qui commence par une fuguette énergique du piano, puis passe à totalement autre chose, avec différents souffles folkloriques. Le chef laisse la liberté au pianiste, l’orchestre les suit ou les guide selon les moments, pour créer une très belle complicité engendrant un véritable élan enthousiaste et enthousiasmant. Pour répondre aux applaudissements enflammés du public, Bertrand Chamayou dédie son bis – « Bonne Nuit ! » de Leoš Janáček (extrait du premier cahier de Sur un sentier recouvert – à Maurizio Pollini qui venait de s’éteindre dans la matinée de ce jour-là.
Dans la deuxième partie, la Symphonie n° 9 dite « Du nouveau monde » est une véritable démonstration de tout ce que cet orchestre peut offrir de meilleur. Le sublime solo de la flûte marque l’Adagio introductif, légué au solo du cor anglais dans l’ample mélodie du deuxième mouvement. Dans le même mouvement, les cors, modernes, sonnent quelque part à l’ancienne, accompagnant le célèbre thème avec une touche nostalgique irrésistible. Le Scherzo est infiniment alerte, avant que le final grandiose entraîne une montée sonore et émotionnelle au fur et à mesure que la musique se rapproche de la magistrale coda et des « réverbérations » des vents, tout à la fin. Dans ce dernier mouvement, et surtout vers la fin, Semyon Bychkov se montre extrêmement flexible, maîtrisant admirablement la dilatation du son et du temps. Les changements du tempo sont donc fréquents, mais comme ils sont effectués dans une cohérence on ne peut plus naturelle, on ne sent même pas ces changements, mais on se laisse happer par cette formidable tapisserie musicale qui se déroule devant nos yeux.
Pour conclure cette somptueuse soirée, l’orchestre propose deux bis, dont la fascinante Danse slave op. 72 n° 2 de Dvořák (bien évidemment), avec un tapis de cordes infiniment soyeuses.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 23 mars 2024. DVORAK. Czech Philharmonic / Bertrand Chamayou (piano), Semyon BYCHKOV (direction). Photos (c) A. du Parc.
VIDEO : Semyon Bychkov interprète la 8ème Symphonie d’Antonin Dvotak à la tête du Czech Philharmonic