dimanche 19 janvier 2025

CRITIQUE, concert. MARSEILLE, Opéra municipal, le 3 décembre 2024. Grand gala lyrique pour les 100 ans de l’Opéra de Marseille. P. Ciofi, C. Boross, K. Deshayes, E. Scala, M. Barrard, J.J. Rodriguez, N. Courjal / Choeur et Orchestre de l’Opéra de Marseille / Michele Spotti (direction)

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Cinq ans après l’incendie qui le ravagea, en 1919, l’Opéra de Marseille renaissait de ses cendres (tiens, dans le même délai que Notre-Dame hier…), le 3 décembre 1924, avec Sigurd de Reyer à son affiche (titre bientôt repris in loco…), et surtout un bâtiment Art déco qui fait encore aujourd’hui la fierté des mélomanes marseillais (et pas seulement des mélomanes…). 100 ans après, jour pour jour, Maurice Xiberras et ses équipes ont convié les grands « gosiers » les plus fidèles à l’institution phocéenne, ceux que l’on a entendu tant de fois ces dernières saisons entre ses murs, à l’instar de Patrizia Ciofi, Marc Barrard, Nicolas Courjal, Karine Deshayes, Enea Scala, Juan Jésus Rodriguez, et de manière moins fréquente (mais néanmoins notable !), la soprano hongroise Csilla Boross. Bien évidemment, c’est le nouveau directeur de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, le sémillant et jeune chef italien Michele Spotti qui dirigeait les Forces vives de la maison massilienne, avec l’enthousiasme et la probité qu’on lui connaît. 

 

De manière tout aussi évidente, une telle soirée ne pouvait faire l’économie d’un discours, le micro passant tour à tour du maître des lieux, Maurice Xiberras, au Maire de la Ville, Mr Benoît Payan, pour finir dans les mains de Michele Spotti. Avec beaucoup d’à-propos et d’émotion sincère, tous ont dit leur attachement à cette maison, Mr Payan évoquant ses jeunes ans où il assistait aux spectacles depuis le Paradis (avec sa grand-mère), et des remerciements ont été également été adressé à l’ancien directeur musical de la phalange marseillaise, Lawrence Foster, présent dans la salle. Conscient des enjeux de la soirée, le choeur et l’orchestre se sont surpassés comme jamais, donnant le meilleur d’eux-mêmes sous la baguette toujours aussi vive et enthousiaste, scrupuleuse et d’une absolue finesse, de Michele Spotti – comme on peut le constater dès la première page retenue, l’Ouverture de La Force du destin de Verdi, aux plans sonores superbement étagés, tout en explosant de couleurs !

 

La tension ne faiblira pas – et chaque morceau symphonique, air ou choeur, seront suivis d’applaudissements frénétiques et de hourras. Et s’il y a bien une certitude, c’est que le public lyrico-phocéen est bien le plus démonstratif de l’Hexagone (dans un sens comme dans l’autre, mais ce soir uniquement dans celui de la joie et de l’enthousiasme exacerbés), l’on peut nous croire sur parole ! Et il y avait de quoi manifester bruyamment sa satisfaction, tant les “piliers” vocaux de l’Opéra de Marseille réunis ici se sont également montrés à la hauteur de leur tâche… Et c’est à Csilla Boross que revient l’honneur de débuter le marathon lyrique (plus de 3 heures de musique, avec un court entracte…), avec le célèbre air “Ritorna vincitor”, extrait d‘Aïda de Verdi. Grand soprano dramatique, elle n’en négocie pas moins les notes filées avec honneur et probité, et enthousiasme plus encore dans les envolées de Leonora dans La Force du destin, un peu plus tard, avec une voix homogène sur toute la tessiture, des extrêmes aigus parfaitement négociés et des graves percutants. L’autre soprano de la soirée est la chanteuse italienne Patrizia Ciofi qui, après un inattendu “Caro nome” (Rigoletto) auquel l’artiste fait pourtant un sort, bouleverse dans un “Addio del passato » (La Traviata) d’anthologie, plongeant notre voisin de fauteuil dans une série de sanglots qu’il mettra beaucoup de temps à faire tarir – tandis que certains spectateurs se mettent déjà debout pour saluer la performance et remercier « la » Ciofi !

 

La mezzo de la soirée n’est autre que Karine Deshayes, que nous avons entendue moult fois sur ces mêmes planches, et qui est à Marseille comme chez elle, à l’instar de son partenaire régulier (ici, comme sur de nombreuses autres scènes lyriques françaises et internationales), le ténor sicilien Enea Scala, enfant chéri du public marseillais. La première interprète d’abord le célébrissime “Casta diva” de Bellini, délivré de manière extatique et habité, puis l’air de Balkis dans la plus rare Reine de Saba de Gounod, dans lequel sa parfaite diction et son tempérament de feu font merveille. Son “alter ego” italien ne fait lui aussi qu’une bouchée de ses deux airs, “Quando le sere al placido” (tiré de Luisa Miller) et “Ah lèves-toi soleil” (dans Roméo et Juliette de Gounod), dans lesquels on savoure la même netteté et clarté de la langue de Molière, mais avec un éclat et une puissance toujours plus phénoménales (le premier air n’en demandait peut-être pas tant…), et son dernier aigu émis tutta forza – et sur un souffle qui paraît un temps comme infini – cloue littéralement sur leur fauteuil les spectateurs, avant de manifester bruyamment leur admiration pour leur héros !

 

 

Chez les hommes, il y a également le baryton nîmois Marc Barrard, invité régulier de la scène phocéenne depuis plus de 20 ans, et dont l’organe affiche toujours la même excellente santé vocale, avec un timbre inimitable et par ailleurs flatteur, ce qu’il démontre dans les deux airs qui lui sont dévolus. Après avoir fait fi du chant sillabato dans l’air “A un dottor della mia sorte” (Barbier de Séville), il émeut jusqu’aux larmes dans l’air de Sancho tiré de Don Quichotte de Massenet. De son côté, le merveilleux baryton espagnol Juan Jésus Rodriguez parvient sans peine à mettre toute sa rage puis son humanité dans l’aria de Rigoletto, “Cortigiani, vil razza”, avant d’offrir une véritable leçon de chant, soutenu par un legato de violoncelle et un timbre d’une rare beauté, dans l’air “Il balen del suo sorriso” (Il Trovatore). Enfin, autre chanteur “chouchou” de l’Opéra de Marseille, où Maurice Xiberras lui a fait toujours confiance en lui permettant de faire ses débuts dans tous les grands rôles liés à sa tessiture, la basse française Nicolas Courjal (Boris Godounov, Philippe II…) enthousiasme une énième fois, d’abord dans Simon Boccanegra (“A te l’estremo addo”), qu’il emplit d’une souveraine émotion et humanité, puis dans l’air de Phanuel (extrait de Hérodiade de Jules Massenet), dont il parvient à traduire idéalement la sagesse souveraine du devin chaldéen.

 

 

Mais l’autre grand triomphateur de la soirée, aux côtés de tous ces merveilleux solistes, est indubitablement le Chœur de l’Opéra de Marseille, excellemment préparé par son nouveau chef, Florent Mayet, et qui brille de mille feux dans des pages comme le toujours excitant choeur des gitans dans Le Trouvère, le grandiose “Gloria all’Egitto” dans Aïda, ou encore le débridé “Vin ou bière, bière ou vin” extrait de Faust. Mais il y avait aussi – on le dira jamais assez aussi – un Orchestre de l’Opéra de Marseille qui se transcende ce soir, porté au plus haut par l’amour du beau son du jeune chef milanais, avec en premier lieu des cuivres infaillibles et des cordes infiniment soyeuses. Tous ces merveilleux instrumentistes nous ont bercés d’une ivresse sonore qui n’a pas échappé au public phocéen (dont une grande partie debout), les joignant dans l’indescriptible triomphe qu’il a adressé à l’ensemble de l’équipe artistique juste après les derniers accords du sublime finale de Guillaume Tell,Tout change et grandit en ces lieux”, l’une des plus belles pages de toute l’histoire de la musique occidentale.

Une soirée mémorable que l’on n’est pas près d’oublier !…

 

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CRITIQUE, concert. MARSEILLE, Opéra municipal, le 3 décembre 2024. Gala lyrique pour les 100 ans de l’Opéra de Marseille. P. Ciofi, C. Boross, K. Deshayes, E. Scala, M. Barrard, J. J. Rodriguez, N. Courjal / Choeur et Orchestre de l’Opéra de Marseille / Michele Spotti (direction). Toutes les photos (c) ACP-VDM

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