La création qui s’annonce est un événement, jalon majeur qui vient clore la résidence du compositeur argentin Alex Nante à l’Orchestre national de Lille. C’est la 2ème partition importante dont nous assistons à la création… Bel engagement de l’Orchestre lillois en faveur des écritures d’aujourd’hui. La trajectoire d’Alex Nante manifeste pour l’Orchestre une conscience élargie dont le sens suit précisément une exigence spirituelle voire mystique. Sa « Sinfonia pour un cuerpo de luz » (créée en sept 2021) entendait la lumière comme un éblouissement qui grâce au rituel musical, rélisait un embrasement salvateur : le feu transformateur – la condensation de la matière, y étaient célébrés ; le Concerto pour piano créé en mars 2022 par Alexandre Tharaud plongeait dans un parcours tout autant séquentiel où le corps du piano attestait d’expériences psychologiques successives…
« Mystérion », l’Apothéose mystique…
ALEX NANTE clôt sa résidence
à l’Orchestre National de Lille
La pièce de ce soir « Mystérion« , de moins de 25 mn, est la plus spirituelle des 3 et tend par le choix même des textes associés (Evangiles selon Thomas, Ier-IIè siècle ; selon Philippe, IIIè / Pisits Sophia, IVè / Discours de l’Ogdoade, le tout en en langue copte…) , à une certaine épure extatique qui exprime en définitive l’accomplissement promis depuis la « Sinfonia » de 2021. Cette trajectoire est à porter au mérite d’un créateur qui tout en suivant la cohérence de ses croyances intimes, sait magistralement écrire pour l’Orchestre dont il cisèle la parure sonore avec un raffinement aérien immédiatement identifiable. Des nappes harmoniques se succèdent ou fusionnent les deux voix solistes, soprano et ténor ; à la fois abstraite et dématérialisée, l’écriture réserve une place choisie à l’incarnation fervente, parfois enivrée, précisément dans le trio qui associe à la soprano, les deux voix aiguës qui surgissent du chœur : saillie à la fois angélique et d’une mysticisme éperdu, proprement géniale (VII – « Onction de lumière »).
La grande machine symphonique est superbement sollicitée comptant plusieurs tutti de sidération qui dans le rituel spirituel font acte de ravissement et de révélation progressifs.
En d’autres termes, la partition suit selon nous, le parcours initiatique des mandalas bouddhiques ; à chaque scansion en tutti [plein orchestre et chœur su actif] correspond le passage d’un état de conscience vers un autre. L’élan collectif exprime l’ardente prière d’une humanité qui doute et espère ; la place et l’essor de la musique suit cette espérance ; elle en jalonne le parcours salvateur jusqu’à son terme où la 4ème voie, couronnant l’enseignement du dieu trismégiste, accorde le féminin rédempteur, la Pistis Sofia, foi et sagesse, suprêmes incorruptibles.
Toute la quête et le travail d’Alex Nante interroge ce en quoi les illuminations musicales expriment cette expérience spirituelle dont les marqueurs se manifestent dans la lumière. Mais des états lumineux différents selon leur place dans le grand éventail spirituel ainsi révélé. A chaque révélation, son onde lumineuse ; et les œuvres ainsi créés grâce au concours de l’Orchestre national de Lille dévoilent chacune les pierres angulaires qui ont bâti cette éloquente cathédrale orchestrale.
Mahler contrasté, éruptif
de Ben Glassberg
Une même exigence spirituelle se retrouve chez Mahler dont la 4ème symphonie occupe la 2ème partie du programme. D’emblée les qualités de l’Orchestre se dévoilent, prolongement de l’intégrale pilotée il y a deux ans par son directeur musical, Alexandre Bloch. Le cycle qui était couronné par une somptueuse 8ème Symphonie « des Mille » / nov 2019, aura fait progresser les instrumentistes d’une manière irréversible. Et cet apport a été coûte que coûte maintenu, cultivé, préservé, ce, malgré la covid grâce à une activité continue dont les diffusions streaming… Le résultat est là : unisson souple et mordant des cordes, relief presque insolent des cuivres, timbres irradiant et d’une intensité à la fois saisissante et articulés des bois dont en particulier le clarinettiste solo, d’une vocalité juste, pertinente, nuancée [étonnant Michele Carrara].
Avouons ne pas avoir été totalement convaincu par le geste parfois sec et brutal toujours très [trop] contrasté du chef Ben Glassberg. Le premier mouvement, pourtant noté « circonspect, sans presser » , sonne affirmatif et appuyé et d’une véhémence progressive qui semble étrangère à l’esprit mahlérien sous jacent, marqué cependant par la féerie de l’enfance. Rien d’onirique ni de magicien ici : plutôt expressif et éruptif. Le Scherzo qui suit [dans un tempo modéré, sans hâte] impose un train d’enfer qui souligne le caractère de danse macabre… Que l’on juge juste ou non ce parti surexpressif, Ben Glassberg garde le cap d’une lecture personnelle assumée crânement tout du long.
Mais quand surgit l’enchantement éperdu, enivré de « Ruhevoll » [tranquillement] claire préfiguration de l’Adagietto de la 5ème, toute réserve s’efface ; le geste du chef trouve le sentiment de plénitude suspendue, au glissando attendu, crucial, miraculeux et d’un geste hypnotique. Le grand frisson se produit alors. Tel que nous le rêvions.
Dans le 4ème mouvement, chanté on regrette que la balance globale soir défaillante et déséquilibrée l’Orchestre couvrant en majorité la chanteuse (Jodie Devos) dont l’articulation et le sens du texte se dérobent malheureusement.
Sans ses maigres réserves, le soirée de plénitude et de frisson symphoniques s’est déployée sans entrave, attestant du niveau superlatif du National de Lille, dans un programme pourtant aussi audacieux qu’ambitieux. Encore un jalon à marquer d’une croix blanche et ce n’est pas la prochaine saison 2023 – 2024 et ses nombreuses pépites annoncées qui démentira tel essor, pour le plus grand bonheur d’un public de plus en nombreux au Nouveau Siècle.
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CRITIQUE, concert. LILLE, le 23 juin 2023. Alex Nante (né en 1992) : Symphonie « Mystérion », création / Mahler (Symphonie n°4). Jodie Devos, soprano / Simon Bode, ténor / Chœur régional Hauts de France, Choeur de chambre Septentrion / Orchestre National de Lille, Ben Glassberg. Photo grand format © classiquenews juin 23
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Précédentes critiques ALEX NANTE / ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE / ALexandre Bloch sur CLASSIQUENEWS :
CRITIQUE, concert. LILLE, le 23 septembre 2021 : Concert inaugural de la saison 2021 – 2022: Alex NANTE (Sinfonía del cuerpo de luz, création) – SAINT-SAËNS : Concerto pour violoncelle n°1 (Victor Julien-Laferrière, violoncelle) – Richard STRAUSS : Mort et transfiguration. Orchestre National de Lille. Alexandre BLOCH, direction. TANTRISME SYMPHONIQUE…