Soirée spéciale que ce soir où au terme du programme, couronnant ainsi une aventure de plus de 40 ans [et qui se poursuit toujours], le chef vedette Jean-Claude Casadesus voit la superbe salle de l’auditorium du Nouveau Siècle, être baptisée désormais de son prénom et de son nom : l’Auditorium Jean-Claude Casadesus vit son inauguration. Consécration légitime si l’on récapitule l’œuvre ainsi accomplie et qui aura installé l’essor et l’activité symphonique comme un fleuron de la culture lilloise et sur tout le territoire des Hauts de France. En réalisant depuis la création de l’Orchestre en 1979, l’équation création, diffusion culturelle, accessibilité, le maestro humaniste fraternel a démontré qu’une culture vivante et populaire était possible. L’épopée exemplaire prend même tout son sens à l’écoute de ce que produit sous sa baguette le sublime maestro. Toujours avisé, hautement attentif et d’une concentration affûtée qui semble vivre la musique et l’exalter à chaque mesure, le chef réalise un sans faute tant sa direction sait détailler, sculpter la matière musicale ; fédérer chaque pupitre, stimuler chaque soliste pour que prospère le temps du concert, la totalité orchestrale.
Défenseur des compositeurs français romantiques et contemporains, Jean-Claude Casadesus joue d’abord en première partie l’ouverture du Roi d’Ys du lillois Lalo : fresque ambitieuse et spectaculaire qui a l’imaginaire dramatique d’un Franck, la puissance calibrée de Wagner, exprimant en un peu plus de 10 mn, tous les épisodes spectaculaires d’une action cataclysmique. Sens des contrastes, équilibre sonore, relief caractérisé des parties solistes [la clarinette puis le violoncelle], la page est un somptueux et dans son final éruptif, un fracassant lever de rideau. De quoi déjà bien chauffer instrumentistes et public [visiblement conquis].
Puis c’est la Fantaisie-concerto pour alto de Graciane Finzi. La compositrice est une complice de l’Orchestre et de son chef ; en 2001, déjà, elle inaugurait les résidences des compositeurs au sein du National de Lille.
Les qualités de clarté et de transparence s’affichent nettement ici tant l’Orchestre doit suivre et envelopper ou porter le chant du soliste, grave et sombre, murmurant, d’une suggestivité suspendue, toujours feutrée, à la manière d’une divagation continue. Le jeu de l’altiste, Nils Mönkemeyer, ajoute une inquiétude sourde, une intranquillité ciselée. L’Orchestre agit par nappes harmoniques à la fois profondes et mystérieuses qui instillent un climat d’étrangeté pénétrante dont l’alto marque l’itinéraire hors du temps et dans un espace qui semble infini. Finzi exploite totalement les ressources narratives que permet la forme quasi libre et spontanée de la Fantaisie.
En tchaïkovskien habité voire halluciné
Jean-Claude Casasdesus
porte le National de Lille à son incandescence
En seconde partie, voici le morceau de choix où chef et orchestre donnent toute la mesure de leur formidable complicité ; une prouesse d’autant plus convaincante et méritoire que beaucoup de nouveaux instrumentistes ont été embauchés, renouvelant ici les effectifs. Mais la cohérence du son est immédiate, et sa profondeur comme sa justesse expriment au plus près la force psychique de la partition, dernière de Tchaikovsky et certainement son testament spirituel.
D’emblée dans la franchise des tutti, affûtés comme à vif, la lecture de Jean-Claude Casadesus tire la pathétique vers des cimes aux gouffres abyssaux, dont le tragique assumé, frontalement explicité, convoque l’âme de Piotr illytch : ses doutes, son angoisse existentielle.
Casadesus en fait une course à l’abîme d’une charge introspective inexorable et irrésistible, une lutte intime aux respirations déchirantes. La confession et l’autobiographie illuminent une vision âpre et radicale dans ses extrêmes : l’ivresse éperdue de la Valse à 5 temps est d’une fluidité illusoire car elle aussi, plonge dans la déréliction amère, tenace, sous le charme délicat de sa parure instrumentale. Le morceau le plus bouleversant demeure pour nous le Scherzo, faussement triomphant où Piotr Illytch, redevenu garçon, semble passer en revue les soldats de bois de son enfance. Et c’est ce vertige mémoriel saisissant qui touche grâce à une lecture implacable, aussi fine que furieuse, articulée exacerbée dont la sonorité et ce geste perfectionniste dévoilent l’urgence viscérale du texte orchestral.
Le chef, démiurge habité, irradie d’énergie ; généreux en gestes, il dessine dans l’espace une formidable chorégraphie. Des applaudissements de ce miracle sonore valident la vérité du propos pris dans cette cadence hallucinée dans laquelle la clairvoyance de Tchaikovsky se matérialise.
Et la réexposition du thème initial au basson, (à l’amorce du dernier « Adagio lamentoso ») se révèle elle aussi bouleversante car le contraste entre l’euphorie bravache du Scherzo dont Casadesus fait une mécanique quasi grimaçante, et le surgissement de l’angoisse première [aux violons portés à l’incandescence] devient tout bonnement insupportable tant le propos du compositeur s’affirme à nous : tel l’aveu d’un être détruit qui cependant espère en acceptant la mort {d’où le glas qui pénètre loin au delà des apparences}.
Tout en préfigurant Mahler, ce Tchaikovsky de la fin déploie sous la baguette du maestro, une nouvelle couleur… brahmsienne, entre passion enivrée et terrifiante clairvoyance. Jean-Claude Casadesus connaît son Tchaikovsky comme peu. A l’image des concerts antérieurs vécus ici même et dédiés à Scriabine Poème de l’extase (janv 2017), / à la Suite Roméo et Juliette de Prokofiev (déc 2016), le chef plus engagé que jamais offre à nouveau une superbe expérience symphonique.
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CRITIQUE, concert. LILLE, le 17 février 2023. Lalo, Finzi, Tchaïkovski. Orchestre National de Lille. Jean-Claude Casadesus, direction. Photos : Ugo Ponte / ON LILLE Orchestre National de Lille
LALO
Le Roi d’Ys, Ouverture
FINZI
Fantaisie-Concerto pour alto et orchestre
TCHAÏKOVSKI
Symphonie n°6, « Pathétique »
Jean-Claude Casadesus Direction
Nils Mönkemeyer, alto
Orchestre National de Lille
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