Deux mois après qu’il nous ait enthousiasmé dans un programme original, c’est avec grand plaisir que l’on retrouve l’Orchestre national Avignon-Provence dans son fief historique de l’Opéra Grand Avignon (entièrement rénové récemment). Ce n’est toujours pas sa directrice musicale Débora Waldman qui est aux manettes (elle l’était le 15 mars dernier, et le sera le 24 mai prochain, dans un programme Creith/Schumann dans ces mêmes lieux), mais le chef néerlandais Jochem Hostenbach (directeur musical du Théâtre de Trèves/Trier Theater).
A contrario de l’habituel courte mise en bouche, c’est dans une œuvre d’une certaine ampleur que l’ONAP jette toutes ses forces (canalisées), avec les sublimes Métamorphoses (1945) de Richard Strauss. Grâce à des phrasés superbement dessinés et au soin constamment apporté, dans ce flux incessant de notes, à la respiration, le chef réussit à tenir de part en part l’exploit d’une lenteur particulièrement audacieuse. L’ample méditation prend ainsi une figure toute mahlérienne, magnifiant l’écriture à vingt-trois parties de cordes, avec une battue superbement claire et précise qui ne perd de vue ni la progression que dessine cette construction en arche, ni la lisibilité des différentes voix.
Puis c’est au tour de la soliste du jour de faire son entrée en scène, la pianiste française Marie-Claire Leguay pour une exécution du (relativement) rare Concerto pour piano en La mineur op. 7 (1835) de Clara Schumann. Ce concerto met avant tout en avant la virtuosité pianistique (avec notamment des enchaînements d’octaves périlleux…), l’orchestre se cantonnant ici souvent à un rôle de soutien ou d’accompagnement, malgré l’orchestration en partie réalisée par (son futur mari) Robert Schumann. Sans grande profondeur émotionnelle, l’œuvre se montre pourtant très stimulante, car elle révèle la maturité de la jeune compositrice qui l’achevait… à seulement 16 ans ! Cet effet est renforcé par l’interprétation attentive et vivante que lui offrent ce soir la pianiste et le chef, notamment dans le dernier mouvement au rythme enlevé de polonaise. La fameuse romance – qui arrive sans rupture entre le premier et le dernier mouvement – apparaît comme une parenthèse lyrique dans laquelle le violoncelle de Nicolas Paul entame un beau dialogue de bel canto avec le piano. En bis, l’artiste offre au public une très émouvante interprétation de la pièce Eusebius de Robert Schumann.
Après l’entracte, place à la Sérénade N°1 en ré majeur (1856) de Johannes Brahms séduit à son tour, grâce à sa diversité d’atmosphères. L’Orchestre national Avignon-Provence se montre investi et répond aux demandes du chef. Là encore l’ensemble sonne superbement, avec notamment un grand lyrisme du côté des cordes, à la sonorité particulièrement ronde, tout en distillant le pathos également requis ici.
Le public provençal ne boude pas son plaisir et fait une belle fête à “son” orchestre et au chef invité !
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CRITIQUE, concert. AVIGNON, Opéra Grand Avignon, le 19 avril 2024. STRAUSS / SCHUMANN / BRAHMS. Orchestre national Avignon-Provence, Claire-Marie Le Guay (piano), Jochem Hostenbach (direction). Photo (c) Emmanuel Andrieu.
VIDEO : Beatrice Rana interprète la “Romance” du Concerto pour piano de Clara Schumann