mardi 19 mars 2024

CRITIQUE, concert. ALMADA, Festival de Musica dos Capuchos, le 27 mai 2023. GEMINIANI/HAENDEL/VIVALDI. Lena Belkina / I Solisti Veneti.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique et à l’opéra - et notamment avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Deux jours après y avoir applaudi le fabuleux Quatuor Hermès (dans les Quatuors de Ravel et Debussy), le Festival de Musica dos Capuchos 2023 quitte son lieu historique (le Couvent des Capucins / O Convento dos Capuchos, situé dans un quartier résidentiel d’Almada, sur un promontoire rocheux face à la fameuse plage de Caparica) pour s’installer (première fois) dans le Théâtre Municipal d’Almada (Teatro Joaquim Benite), situé lui en plein coeur historique de cette ville de près de 200.000 habitants qui fait face à Lisbonne, de l’autre côté du Tage.

Pour ce second concert, en présence de la Maire de la ville (Mme Inès de Medeiros), Filipe Pinto-Ribeiro a invité la mezzo ukrainienne Lena Belkina (souvent entendue au Grand-Théâtre de Genève, dont elle est une grande habituée) et les célèbres “I Solisti Veneti”, orchestre fondé en 1959 par le regretté Claudio Scimone, et dont le pain quotidien est de jouer de la musique baroque (et du début XIXe – du Rossini majoritairement), mais sur instruments modernes (et non baroques). Ils sont surtout très réputés, avec pas moins de 300 enregistrements discographiques à leur actif (tous gravés pour le label Erato), dont beaucoup sont des enregistrements de référence (à l’instar du mythique « Orlando Furioso » de Vivaldi avec Marilyn Horne dans le rôle-titre).

La soirée débute mal, car à peine les premiers accords de “La Folia” de Francesco Geminiani entamés, que l’une des cordes du Violon solo /chef d’orchestre : Mario Hassen craque, l’obligeant à changer de violon avec son premier chef d’attaque, Lucio Degani, qui remet lui-même l’instrument injouable au second violon, qui devra donc regarder ses camarades jouer tout le morceau en faisant le pied de grue ! Et comme l’on pouvait s’y attendre, l’incident déstabilise le principal concerné et désorganise pendant quelques secondes ses partenaires, quand il s’agit de reprendre le fil, mais qui se termine heureusement comme il avait commencé, c’est-à-dire très bien interprété… l’honneur est sauf !

Puis c’est au tour de Lena Belkina d’ensorceler le public lusophone par l’une des plus belles voix de mezzo du moment, que nous avions également entendue au Festival Rossini de Pesaro (elle est une chanteuse rossinienne émérite), et qui fait un sort à deux airs de Haendel extrait de son “Serse” : d’abord le célébrissime (et délicat) “Ombra mai fu” ; avant le véloce (et trépidant) “Crude Furie degli orridi abissi”.
Dans l’un comme dans l’autre registre, la mezzo navigue comme un poisson dans l’eau dans ces états émotionnels intenses qui sont à la base de tout air d’opéra baroque. Et si les tourments, les prières, la douceur, le mépris, la beauté ou la fureur n’ont aucun secret pour le souffle inspiré de Lena Belkina, la formation baroque qui lui sert d’écrin lui donne parfaitement la réplique, en l’accompagnant avec une rare virtuosité.
C’est Antonio Vivaldi qui a été ensuite retenu, le compositeur “fétiche” de la phalange vénitienne – comme il se peut aisément comprendre, et dont la cantatrice ukrainienne délivre deux airs: le premier extrait de son oratorio “Juditha Triumphans” (“Armatatae face et anguibus”) et le second tiré de son opéra “Il Giustino” (“Vedro con mio diletto”). Dans le premier, elle ravira l’auditoire autant par son registre grave somptueux que par la lumière qu’elle projette, la ductilité et la douceur que contiennent son timbre exceptionnel. Et c’est peu dire qu’elle fait fi des vocalises ébouriffantes de cet air, qui emportent la salle après avoir pu se régaler des couleurs déployées, de la richesse des intonations dramatiques et des variations proposées, jusque dans un aigu final qui le laisse pantois ! Le second air, beaucoup plus doux, est une romance amoureuse, celle qu’Anastasio adresse à sa bien aimée Arianna, qu’il vient juste d’épouser mais qu’il doit déjà quitter pour partir à la guerre… Belkina le délivre avec beaucoup d’émotion et de sensibilité, imposant ainsi quelques secondes de silence à un public attentif et sous le charme… avant qu’il ne le rompe par de furieuses acclamations !

 

 

En seconde partie de soirée, ce sont les (incontournables) Quatre Saisons du même Vivaldi qu’I Solisti Veneti donnent à entendre, eux qui les ont enregistrées à de nombreuses reprises, ce “tube” absolu de la musique classique. L’interprétation de Mario Hossen – ce soir placé à la tête d’I Solisiti Veneti (leur directeur musical étant le chef italien Giuliano Carella…) – s’inscrit dans le cadre d’une certaine tradition établie par les violonistes italiens dans les années 1990, notamment par Fabio Biondi et Giuliano Carmignola, en insistant sur le caractère descriptif de ces pièces. Hossen se place ainsi quelque part entre la théâtralité outrée de Biondi et la délicatesse de Carmignola : sa lecture s’avère riche en harmoniques, fraîche et alerte, mais n’est pas dénuée de maniérismes. Il y impressionne par sa verve comme par sa suggestivité, qu’il amalgame à la poésie et à l’intensité. Parfois, les phrasés sont délivrés dans toute leur simplicité, d’autres fois, ils se voient parsemés d’accents plus ou moins forts, offrant malgré tout un récit cohérent. Pas de tics de sons courts ici, ni de dogmatisme dans cette approche musicale, mais pas vraiment d’humour non plus…. Le discours est sérieux et, par moments, centré uniquement sur la virtuosité, dont le violon solo de Mario Hossen offre maints exemples, au cours des quatre Concertos correspondant chacun à une saison (eux-mêmes subdivisés en trois mouvements) – sur fond d’un accompagnement diversifié du point de vue de la palette des teintes et des nuances dynamiques… Bravo donc à ses douze “coéquipiers” !

Mais c’est en solo qu’il achève le concert, en se lançant dans une exécution diabolique et effrénée du 24ème (et dernier) “Caprice” de Niccolo Pagannini, qui lui vaut – à peine achevé les redoutables derniers accords – une standing ovation méritée de la part d’un public hurlant sa joie et son admiration !

 

 

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CRITIQUE, concert. ALMADA, Festival de Musica dos Capuchos, le 27 mai 2023. VIVALDI / HAENDEL / TARTINI / GEMINIANI. Lena Belkina / I Solisti Veneti. Photos : (c) Rita Carmo.

 

 

 

 

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