CRITIQUE CD. RAMEAU: nouvelle symphonie (Les Musiciens du Louvre / M Minkowski – 1 cd Château de Versailles Spectacles – janv 2021) – Nervosité et tendresse, muscle et abandon : voilà le génie de Rameau réactivité par celui qui en a, il y a 30 ans déjà, revitalisé l’approche aux côtés de l’indétrônable Christie, dans une version d’Hippolyte et Aricie, alors époustouflante. Quelques décennies ont passé depuis son premier essai dans le genre, ayant abouti à une première « Symphonie imaginaire » dont le propos semblait opportun : Rameau est avant Berlioz et Ravel, l’inventeur de l’orchestre français (ampleur, souffle, coloris, rythme, développement, pensée et abstraction…) ; il était tentant d’aborder à travers ouvertures et formidables intermèdes dansés de ses opéras, sa conception unique et singulière de l’écriture orchestrale. On retrouve ici la pétulance des timbres (ivres, hallucinés), le mordant des cordes, l’insolente exacerbation des accents, une surenchère crânement assumée, que le baryton invité dans ses diverses interventions (cette nouvelle symphonie est donc aussi lyrique), Florian Sempey reprend à son compte dans un jeu souvent surjoué, où peine l’esprit de nuances et de finesse (Orcan des Paladins) ; fort heureusement, à demi voix, son « Monstres affreux » d’Anténor (Dardanus) trouve une intention mieux calibrée, plus sobre, entre terreur et hallucination, deux sentiments que les cordes expriment, elles, de façon exemplaire (2è partie de l’air « Quels bruits »).
Nouvelle symphonie (lyrique) de Rameau
En un geste caricatural et sur un tempo étrangement ralenti, « Le Turc généreux » (les esclaves africains) a des airs de pachyderme ayant le hoquet ; l’option est personnelle, carrée, raide, toujours totalement défendue ; on lui préfère les enchainements très contrastés ensuite (Sarabande de Pygmalion) puis, pointés, rythmiques, les formidables tambourins pour les Spartiates (Castor, version 1754) – puis l’air très gai (version de 1754) fait valoir les trépidations de cette mécanique aussi nerveuse que rythmée ; enfin la Chaconne finale a autant de chien que de tension, et comme les morceaux précédents, saisie par un sentiment d’urgence et de nécessité, décuplés, comme chauffés à blanc. Voici le morceau le plus réussi de notre point de vue : motricité électrisée et abandon aux vents (flûtes), habile posture entre tension et détente.
A ce jeu hyper expressif, souvent binaire, certes le spectacle est total et les effets concertés, en surenchère, mais Rameau peut-il se réduire à ce systématisme ? Aujourd’hui, les tenants de la nouvelle génération d’interprètes, le chef et claveciniste, Bruno Procopio en tête, inaugurent des voies nouvelles, n’omettant pas les vertiges poétiques aux côtés de la carrure rythmique ; c’est aussi une nouvelle orchestration, plus proche des usages de Rameau et des moyens mis à sa disposition par l’Académie royale de musique : pupitre des violoncelles étoffé jusqu’à 10 instruments (!) … / versus les 4 instruments ici ; et c’est immédiatement une texture et un format sonore revitalisés qui surgissent, convoquant (enfin) ce que l’on avait jamais écouté jusque là : ce Rameau dramaturge, coloriste et visionnaire… qui pense l’orchestre comme un symphoniste.
En fondant l’année dernière (oct 2021) son prometteur JOR Jeune Orchestre Rameau, Bruno Procopio ouvre des expériences aussi inédites que décisives pour notre connaissance de Rameau. Voilà qui n’ôte rien à la prestation de Minkowski, son engagement admirable pour souligner le génie ramélien à l’orchestre. On peut cependant regretter le concours du baryton dans cette « nouvelle symphonie » qui pour le coup atténue l’enjeu purement instrumental du projet, en rompant le fil strictement orchestral.
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CRITIQUE CD. RAMEAU: nouvelle symphonie (Les Musiciens du Louvre / M Minkowski – 1 cd Château de Versailles Spectacles – janv 2021)