Dans la version allégée de 1947, la Suite Petrouchka met ici en lumière l’énergie, la vivacité de l’Orchestre de Paris (et la complicité feutrée, vif argent du pianiste Bertrand Chamayou qui s’est prêté à cet enregistrement passionnant de sept 2023) : Klaus Mäkelä parvient à fusionner idéalement l’ivresse de l’innocence, celle de l‘incandescent et lumineux, angélique et conquérant (mais bien naïf) Petrouchka, bientôt « piégé » par la Ballerine et le Maure qui dansent un pas de deux sournois et vénéneux…
Les 15 séquences (en 4 tableaux) forment une tapisserie aux scintillements magiciens, magnifiquement dosés où à travers l’acuité expressive des instruments, les pulsions éruptives de l’orchestre (même ici en effectif réduit) annoncent le paganisme échevelé du Sacre à venir. La versatilité de l’orchestre, sa faculté à raconter et à suggérer (forces chtoniennes de la danse de l’ours ; mort au violon de Petrouchka …), ce sens des détails inscrit dans une grande aspiration dramatique, celle unificatrice de la Fête foraine (et ses myriades de rythmes et danses populaires) fondent la haute valeur de la lecture, à la fois analytique et architectonique.
Somptueux narratif de l’Orchestre de Paris
Klaus Mäkelä, analytique et architecte,
réussit Stravinsky et Debussy
Les deux Debussy sont de la même eau (enregistrés à la Philharmonie de Paris en déc 2023). Chef d’œuvre à notre avis mésestimé, « Jeux » saisit tout autant par sa force poétique – le ballet a été conçu après celui du Prélude à l’après midi d’un Faune (1912), pour les Ballets Russes, en particulier Diaghilev et Nijinski. L’argument d’une partie de tennis entre 1 garçon et deux filles, de nuit, déconcerta le public et finit par agacer le compositeur qui finalement dubitatif, regrettait « le génie pervers de Nijinski » ; d’ailleurs la chorégraphie fut épinglée par les critiques, toujours rétifs à toute audace futuriste… Musicalement, la partition de plus de 15 mn (ici précisément plus de 17mn), enchante et enivre ; par sa sensualité éloquente – le chant des instruments traités comme des solistes ; et aussi par une atmosphère surréelle, d’une sensualité ardente et irrépressible qui confère la couleur enveloppante et progressive d’un envoûtement de plus en plus manifeste ; d’autant que Mäkela sait exprimer toute l’énergie bondissante, le flux organique qui produit le jaillissement permanent d’une matière sonore, épaisse, opaque mais toujours transparente : éclairs, éclats furtifs, vagues enchantées, et aussi facétie ondulante, océane des bois, diamatine des cordes… La direction vive, onctueuse, fourmille d’analyse et de détails sans que jamais le propos ne se dilue ; Prélude suscite le même enthousiasme par son sens des couleurs et un fini particulier dans l’esprit de transparence, où percent toujours et se diffusent la volupté et l’innocence du faune. Somptueuse réalisation de l’Orchestre de Paris.
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CRITIQUE CD événement. STRAVINSKY : Petrouchka (1947). DEBUSSY : Jeux, Prélude à l’après midi d’un faune (Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä) – 1 cd Decca (enregistré à Paris en sept et déc 2023) – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2024.