Le génie lyrique de Camille Saint-Saëns se dévoile dans son ultime opéra Déjanire de 1910, sommet dramatique inspiré de la mythologie et qui offre à nouveau un sublime portrait féminin. Le Palazzetto Bru Zane, centre de musique romantique française poursuit l’excellence de sa collection « Opéra français » en enregistrant pour la première fois la partition intégrale.
Saint-Saëns comme Bach a le génie de la réutilisation pertinente : il y recycle la musique déjà composée en 1898 pour la pièce de Louis Gallet. Il réutilise aussi son poème symphonique « La jeunesse d’Hercule » pour la scène finale [Hercule empoisonnée suicidaire] et aussi dans le Prélude de l’acte I. Déjanire est cette épouse délaissée par son époux, trop volage, Hercule qui en aime une autre Iole laquelle aime en vérité… le jeune Philoctète.
Fabuleuse antiquité de Saint-Saëns
Le Palazzetto Bru-Zane publie
le premier enregistrement intégral de son dernier opéra : Déjanire
Aidée de la fausse servante mais vraie magicienne Phénice, Déjanire se venge en remettant à son époux une tunique empoisonnée ; le héros l’endosse, souffre tellement qu’il se jette dans les flammes… Les duos sont d’une vraie puissance théâtrale digne de la source antique : comme celui de Déjanire / Phénice [fin du I]… Les airs d’Hercule lui préservent une belle épaisseur héroïco-tragique qui se déploie dans l’air « Viens ô toi dont le clair visage... » [acte IV]. Comme dans Samson ou Ascanio, Saint-Saëns qui n’eut jamais le Prix de Rome, affirme son génie dramatique dans une orchestration à la fois nuancée et flamboyante, Straussienne, soulignant les points forts d’une action qui relève du grand opéra [préparation de la robe empoisonnée au III, puis expression de son pouvoir magique fatal au IV…]. Tout cela relève d’une maîtrise remarquable de l’écriture opératique, l’Orchestre vrai grand acteur aux côtés des solistes qui doivent au moins asseoir leur formidable personnalité, à légal de Samson et Dalila…
Sur les traces des créateurs en 1910, respectivement Felia Litvinne et Lucien Muratore, pour Déjanire et Hercule, les plus récents Kate Aldrich et Julien Dran affirment ici tous deux d’indiscutables qualités autant vocales que dramatiques. Dans cet enregistrement d’octobre 2022, lors d’un concert donné à l’Auditorium Rainier III de Monte-Carlo, Kate Aldrich renouvelle la réussite de sa formidable performance dans Olympie [de Gaspare Spontini] , cependant que Julien Dran possède la tendresse et la tension héroïque propres au mythe herculéen. Son air du IV [sublime épithalame] est d’une indiscutable séduction trouble. Même engagement juste d’Anaïs Constans [superbe Iole], de Jérôme Boutillier [Un Philoctète de luxe], et d’Anna Dowley [très convaincante Phénice].
Ce remarquable enregistrement ressuscite une partition lyrique française à connaître absolument, après les Pelléas de Debussy ou Tosca de Puccini, la veine opératique de Saint-Saëns au début du siècle s’affirme aussi flamboyante et efficace que les premiers opéra de son contemporain Richard Strauss [Salomé, Elektra, Ariadne auf Naxos, La femme sans ombre...]. Voilà qui éclaire – voire clarifie l- e génie de Camille Saint-Saëns dans l’aréopage européen, à la veille de la première guerre. A acquérir d’urgence !
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CRITIQUE CD événement. SAINT-SAËNS : Déjanire (1910) – Kate Aldrich, Julien Dran, Anaïs Constans, Jérôme Boutillier, Anna Dowley… Orch. Phil. de Monte Carlo. Kazuki Yamada (2 cd Palazzetto Bru-Zane) – Collection « opéra Français », vol. 39 | BZ 1055
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur PALAZZETTO BRU ZANE (livret téléchargeable gratuitement) : https://bru-zane.com/en/pubblicazione/dejanire/