Révélé récemment lors d’un récital à la Fondation Louis Vuitton, le canadien RYAN WANG (né à Vancouver), actuellement scolarisé à Eton (Grande-Bretagne) et à l’école Cortot à Paris, affirme déjà un tempérament exceptionnellement mûr. Dans ce premier album de jeunesse – enregistré à …16 ans (!), s’imposent naturellement ses qualités de souplesse, de respiration, une musicalité sûre plus intérieure que réellement démonstrative, ce qui chez Chopin est particulièrement profitable. L’Andante spianato est déjà d’une carrure idéalement bellinienne : exposition enchantée, songeuse d’abord, puis aria majestueux, déclaratif.
La prise live ajoute à l’intensité et la vivacité de la captation dans sa continuité. Les 24 Préludes de 1839, qui suivent sont remarquablement investis, pensés, absorbés par une saisissante compréhension intérieure, une structuration progressive faite de retenue et d’élans irrépressibles, qui semblent mesurer chaque enjeu intime de chacune des 24 pièces (n°2). Cependant que l’agilité aérienne, bondissante et superbement ronde et fluide du Vivace (n°3 en sol majeur) passe comme une caresse dont l’ondulation dansante et vaporeuse demeure magistrale. Comme des autoportraits de Chopin lui-même, le jeune pianiste esquisse et brosse d’un jeu sûr, les traits psychologiques qui ciblent l’essentiel. Il a même fait le voyage jusqu’à Palma de Majorque pour y retrouver les traces des lieux (et des ambiances) où Chopin les a composés. L’Allegro molto n°5, comme le n°8 (Molto agitato), leurs syncopes schumaniennes transportent tout autant, et le n°6 (Lento assai) affirme d’étonnantes prédispositions pour une suspension hypnotique du son (qualité et caractère que l’on retrouve comme en écho dans le Lento en fa dièse majeur qui prépare à l’émergence du motif principal (n°13). Cette succession quasi schyzophrénique entre lent et vif, constellation ambivalente entre Eros et Thanatos, s’impose par la sureté intérieure, une éloquence impériale tissée dans la mesure et la nuance.
Le jeune Ryan Wang sait polir et construire une sonorité à la fois délicate, voire arachnéenne et d’une grande force intime. Bel effet de contrastes en ce sens que l’enchaînement des Préludes n°9 puis 10. Contemplation sereine mais large et ample, le n°14 prélude (c’est le cas de l’écrire) au plus développé n°15, Prélude de plus de 6mn et le plus chopinien de tous : Ryan Wang en saisit l’essence du songe là encore, ciselant chaque jaillissement mélodique comme l’essor fugace et impérial, souverain, du souvenir, lequel est toujours coloré d’une tendresse ineffable et d’une gravité presque douloureuse dans son acuité quasi véhémente et impérieuse… que le jeune pianiste renverse dans le mystère et l’énigme. Ne s’agirait-il pas ici de relier la texture musicale, ses racines tragiques aux poèmes de Shelley et de Byron qu’apprécie tant le pianiste, et qu’il aime évoquer s’agissant du cycle des 24 Préludes ? Le dernier Allegro Appassionato convainc, doué d’une terrible élégance digitale au service d’une activité émotionnelle, à la fois articulée et débordante ; Ryan Wang y explore une matière éruptive, grave et aussi d’une douceur préservée. Sublime accord des contraires.
L’intérêt demeure ici le repli et l’ineffable ; la séquence emblématique de sa sensibilité spécifique, est probablement la clé de tout le programme et reflète l’imaginaire captivant, d’un jeune pianiste qu’il faut désormais suivre.
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CRITIQUE CD événement. RYAN WANG joue CHOPIN (Andante spianato et Grande
Polonaise brillante, 24 Préludes) – 1 cd L’Esprit du piano (2023) / Enregistré sur un piano Steinway D en oct et nov 2023. CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024.
VIDÉOS
Ryan WANG (15 ans) joue Chopin / Polonaise in A-flat major Opus 53
Ryan WANG (14 ans) joue Chopin / Etude Opus 10 n°10
VOIR aussi sur YOUTUBE :
https://www.youtube.com/@ryanwangpianist8416