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Généreux, « christique », le Beethoven de Pierre Réach se précise encore dans ce volume 2 de son intégrale en cours des Sonates, publiée par Anima records. La « bonté » de Ludwig que nous dirons fraternelle, se propage ainsi de pièce en pièce. L’élan, l’esprit de conquête, surtout la puissante originalité de la forme qui interroge toujours les limites et les perspectives de son propre développement, expriment au plus près le don total d’un être hypersensible qui explore et partage. Beethoven ne fait pas qu’imaginer des mondes sonores ; il questionne le sens et partage les fruits de sa pensée musicale.
Le texte du livret accompagnant les 3 cd, éclaire un peu plus les caractères d’une approche qui comptera. Le pianiste se figure tout autant les colères de Beethoven, capable de rugir comme il murmure ; comme son professeur, l’irremplaçable Yvonne Lefébure qui savait s’emporter (mais pour les progrès de l’élève…). Pierre Réach suit les préceptes d’Anton Rubinstein qui l’exposait à Cortot : il faut savoir « réinventer » Beethoven. La spatialité, le message (plus vers l’humanité que l’universel), davantage « révélation » que sentimental, distingue Ludwig des autres compositeurs. Cette spiritualité artistique – Pierre Réach parle donc « d’un côté christique », fonde ici une lecture personnelle, étonnamment claire et construite.
Inspiré, clair et lumineux,
le pianiste Pierre Réach
poursuit son intégrale des Sonates…
Réinventer Beethoven
La pudeur aussi de Beethoven se manifeste par ce sens de l’épure et de l’économie, en particulier dans la suggestivité allusive et si tendre de la (courte) Sonate 78 « A Thérèse » : Beethoven semble y cultiver l’esprit du secret; ses amours étant clandestines souvent avec des femmes mariées. Passons en revue les clés qui constituent la réussite de ce volume 2.
Le premier CD (1), montre à quel point Beethoven doit à Haydn, sa verve infinie (Andante de l’opus 14), son élégance de ton, et aussi sa tendresse facétieuse (Allegro de l’opus7), autant de caractères que Pierre Réach sait articuler sans fioritures, avec une simplicité illuminée par un premier souci de clarté et de naturel flexible (Adagio chantant, aérien de l’opus 2 n°1) – une volonté d’élucidation qui fait surgir avec un feu régénéré, l’impérieuse énergie d’un tempérament qui cherche toujours au delà de la forme (Prestissimo du même opus 2).
La clarté triomphe encore dans la Sonate opus 7 (premier Allegro)où Pierre Réach semble réunir la jubilation dansante et la puissance d’une structure remarquablement articulée là encore. Un jeu clair auquel ne manquent ni le souffle ni l’intériorité magicienne (Allegro con espressione)…
Le CD2 occupe parfaitement sa position médiane révélant avant les sommets du CD3, plusieurs œuvres décisives qui indiquent un palier dans la maturation critique de Ludwig ; ainsi l’étonnante opus 10 n°3, qui outre sa trépidation rythmique, emblème direct d’une énergie intacte, se drape brusquement d’une gravité nouvelle dont Pierre Réach clarifie avec perfection l’ancrage souterrain (Largo en guise d’Adagio), étirant toute la matière sonore, jusqu’au délà des notes et du silence, quand il n’y a plus rien à ajouter…
Calme, souple et plus que suggestive, la Clair de Lune atteint un évidence et une ampleur de ton rarement écoutée ; Pierre Réach sculpte la matière sonore avec une infinie douceur, abolissant toute emprise temporelle ; la musique de l’opus 27 générant ici sa propre temporalité dans un espace temps totalement suspendu. Cette immersion de début, ouvrant la Sonate est l’une des trouvailles les plus sensationnelle de Beethoven… avec à l’extrémité de l’opus, le feu à la fois rond et élastique du Presto agitato, dont le pianiste articule là encore l’enjeu contrapuntique, ciselant les basses ; la clarté et la transparence du jeu saisissent de bout en bout.
Moins connue La Pastorale (opus 28) préfigure les grandes Sonates à venir, par l’ampleur et la puissance sous jacente, sa structure reprenant les 4 mouvements (quand la Clair de lune était tripartite), avec indice d’une pensée élargie et d’une conscience en proportion, un premier Allegro, très développé (plus de 9 mn) ; le sens supérieur des respirations s’affirme, et une énergie qui semble indéfectible dans cet Andante lui permet d’avancer, rayonnant et lui aussi magnifiquement articulé.
CD3 – Le questionnement sur la forme elle-même et le sens du développement sont au coeur des Sonates du dernier CD3 ; l’opus 26 fait rayonner dès son premier mouvement (Andante con variazioni) une tendresse infinie (la bonté qui émane de la personnalité de Beethoven dont parle le pianiste dans la notice du coffret). Pas de profondeur sans gravité ni sentiment tragique, comme le rappelle la Marcia en guise de 3è mouvement, qui assène et foudroie puis célèbre et regrette la perte du héros (« sulla morte d’un Eroe »).
Pierre Réach foudroie ainsi, lui aussi, par ses éclairs surgissant de l’ombre propice (Allegro assai) de l’Opus 57 (Appassionata), ciselant chaque arête d’un mouvement qui cristallise toutes les tensions de la passion, jusqu’aux pulsions en équilibre ; la transparence, la finesse agogique, l’équilibre et la clarification sonore sont superlatifs, exprimant le feu et la tendresse, juste équation remarquablement dosée ici, explorant tout de l’âme humaine, sans écarter le moindre sentiment, la moindre nuance : les 10 mn du premier mouvement de la 57 sont saisissantes de justesse : humanité, expérience, intime compréhension de la misère humaine…
Et il faut bien la caresse et le climat de sérénité reconstructrice de l’Andante, admirablement réalisé lui aussi, pour se remettre des vertiges premiers. Mais le pianiste enchaîne avec l’Allegro final et exprime de nouvelles peines et des tourments paniques qui renouent avec l’arche du début : le jeu tout en rondeur et clarté, l’éloquence ciselée de l’approche renouvelle le déroulement de ce cycle unique en 3 volets complémentaires.
En concluant ce volume 2 des Sonates de Beethoven, Pierre Réach choisit le classicisme lumineux du fugace opus 78, en 2 mouvements, de fait comme son titre l’indique « A Thérèse », traversé par le sentiment amoureux, de plénitude radieuse; un rien bavard mais avec quel brio et quel esprit d’incandescence émotionnelle.
La force de la pensée qui cherche, le sens d’un piano expérimental, clavier laboratoire ; qui repousse toujours les limites pour trouver le sens de la musique, et à travers la musique, le sens de la vie, se dévoile ici.
Au delà des arrangements et des séductions sonores, la probité du piano de Pierre Réach révèle chez Beethoven l’esprit de synthèse, le souci du sens et de la direction : où va ma musique et que dit-elle ?
Tout se lit dans la clarté et l’articulation : dynamique, rythme, phrasés. Scrupuleux, Pierre Réach réinvente cependant Beethoven dont il souligne tel ou tel aspect, s’accodant la force des détails sans jamais atténuer le génie de la structure.
Pas de vie sans Beethoven, semble nous dire Pierre Réach. Pari et promesse tenus. Le pianiste rend le compositeur, indispensable.
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CRITIQUE CD événement. Pierre Réach, piano : Sonates de Beethoven, vol. 2 – Sonates opus 2 n°1, opus 7, opus 14 n°2 (cd1) – Sonates opus 10 n°3, opus 27 (Clair de lune), opus 28 (Pastorale) (cd2) – Sonates opus 26 (Marce funèbre), opus 57 (Appassionata), opus 78 (Thérèse) (cd3) – 3 cd Anima records / enregistrées en Espagne, juin 2022 – CLIC de CLASSIQUENEWS – printemps 2023
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