Ainsi le pianiste Pierre Réach arrive à la quasi fin de son cycle Beethoven, l’oeuvre de toute une vie artistique, — le dernier volume de son intégrale des Sonates de Beethoven paraîtra en 2025 (Vol. 4) ; avec ce volume 3 publié au printemps 2024, le pianiste transmet aujourd’hui un legs pianistique de première valeur. Il confirme surtout une compréhension superlative de l’écriture beethovénienne.
CD1. La puissance du jeu, sa solidité architecturale, doublée d’une grande finesse d’exécution parlent d’elles mêmes. Le pianiste poursuit son éloquente ascension des massifs beethovéniens avec une fluidité digitale que la justesse rend irrésistible ; ce dès les premières Sonates (ici au démarrage du double coffret, la Sonate opus 2, encore pleine de la facétie haydnienne et de la grâce émotionnelle mozartienne, qui sont ses deux sources essentielles) ; à partir de cet héritage inspirant, le génie échafaude, construit des cathédrales dont l’ampleur s’impose peu à peu (cf le premier Allegro de la Sonate opus 10). Les doigts et le pensée de l’interprète font jaillir l’invention et le crépitement comme un développement premier, dans un flux d’une absolue évidence, avec un naturel remarquablement équilibré, qui privilégie toujours la clarté, l’intensité, la profondeur de chaque phrase. Ceci éclaire en particulier l’essor de l’Adagio cantabile réalisé comme une rêverie joyeuse, réellement touché par la grâce, avec une expressivité qui n’écarte pourtant aucun accent résolument dramatique… cependant que que le Finale noté « prestissimo » libère un feu ardent, une virtuosité enivrée qui semble défricher et explorer sans limites.
Crépitante, contrastée, impétueuse, la Pathétique (opus 13 en ut mineur) est de la même eau : profonde, très articulée, surtout « grave » et d’un souffle déjà lisztéen dans sa démesure tragique. La séduction de Pierre Réach tient à son jeu sans aucune dureté, d’une rondeur impériale dans chaque tutti ; avec lui se lève la tempête qui déchire et détruit pour édifier un nouveau monde. Le cantabile de l’Adagio qui suit est d’une fluidité schubertienne idéalement énoncée, simple et bouleversante.
Le CD2 est jalonné des mêmes accomplissements : clarté heureuse qui ouvre la Waldstein (Opus 53), dans le flux ininterrompu d’un des mouvements les plus longs (presque 12 mn) ; d’ailleurs toute la Sonate est éclairée d’une même énergie sereine, lumineuse, fruit d’une réflexion profonde menée par le pianiste en recherche ; entre flux primitif et reconstruction immédiate, l’interprète sait exprimer la toute puissance d’un feu originel, d’une impétuosité prométhéenne, à la fois conquérante et dansante (jaillissement contemplatif du dernier mouvement Rondo-Allegretto moderato, à la saisissante éloquence articulée). L’excellence digitale et la pensée qui la pilote de bout en bout, dévoile cet équilibre structurel qui innerve les 3 Sonates enchaînées (53, 79, 81a « Les Adieux ») toutes en 3 mouvements et d’une maturité ainsi olympienne et dyonisiaque sous des doigts aussi inspirés, à la fois démiurges et poètes.
D’un temps mesuré, suspendu, comme distancié et d’un caractère à la fois rêveur et d’une pudeur allusive, avouons notre préférence pour la 81 a, aux écarts maîtrisés entre pur élan, désir et écho réflexif ; la sensation est telle que l’artiste semble improviser à l’écoute, traversant ainsi, avec une impétuosité canalisée, crépitante Les Adieux, l’Absence, le Retour.
Entre renoncement et ardeur, les 4 mouvements de l’opus 101 en la majeur pour le Hammerklavier / pianoforte (1816), expriment la forge beethovénienne, d’une réinvention constante, comme un matériau musical jamais définitivement abouti; le questionnement est au cœur d’une sorte de work in progress, dans lequel le compositeur pianiste semble remettre tout à plat pour reconstruire et rebâtir avec l’énergie des premiers maçons ; Beethoven réserve un soin spécifique comme en témoignent les indications très précisément développées qui éclairent la compréhension comme la réalisation de chacune des quatre séquences. Dans ce processus radical, Pierre Réach trouve la puissance et les accents justes ; le flux d’un bouillonnement libre voire fantaisiste mais qui ose défier toutes les structures dont le développement fugué (du final). L’objectif est idéalement respecté : exprimer au plus près, la volubilité émotionnelle d’un Beethoven qui (devenu sourd) surprend toujours par ses plongées dans sa propre psyché. Le miroir en est son piano d’une inventivité qui révèle sa prodigieuse hypersensibilité. La longue pratique de Pierre Réach, sa maîtrise technique et son intuition sûre éclairent chaque jalon de ce parcours unique et singulier ; il nous dévoile un Beethoven plus fraternel que jamais, sa pensée qui doute et espère, expérimente et reconstruit. Magistral. Le volume 4 est déjà attendu avec impatience.
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CRITIQUE CD événement. Pierre REACH, piano. BEETHOVEN : Sonates, volume 3 (2 cd Anima records) – enregistré en Espagne en janvier 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2024
approfondir
Les Sonates de Beethoven par PIERRE RÉACH, piano :
LIRE aussi notre présentation et critique des SONATES 31, 109, 110 et 111 de Beethoven – CLIC de CLASSIQUENEWS (2 cd Anima records – déc 2022) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-beethoven-sonates-opus-1-2-3-109-110-111-pierre-reach-piano-1-cd-anima-records/
LIRE aussi notre ENTRETIEN avec PIERRE RÉACH à propos des Sonates de Beethoven, une intégrale encours (janv 2023) : https://www.classiquenews.com/piano-entretien-avec-pierre-reach-a-propos-de-son-nouveau-cd-beethoven-anima-records/