dimanche 8 décembre 2024

CRITIQUE CD événement. Héroïnes : Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge – 1 CD Château de Versailles Spectacles

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L’ensemble « Il Caravaggio », dirigé par Camille Delaforge, ressuscite ici la force dramatique de deux cantates françaises méconnues. Un travail de défrichement remarquable qui met en lumière le profil de deux héroïnes tragiques et dignes : Clorinde et Lucretia / Lucrèce que les interprètes abordent avec sensibilité et nuances ; ils accordent à chaque éclairage psychologique, l’attention juste qui rétablit ce flux dramatique où brillent la force et la finesse des passions et des sentiments successifs.
Bornant les années 1720, les deux partitions ainsi révélées, soulignent l’essor vocal en France après le règne de Louis XIV. L’ensemble Caravaggio très inspiré par les sources du Tasse et de L’Arioste, et dans le sillon des poètes dramaturges dont Danchet, affirme une identité musicale, instrumentale et vocale de première valeur. Relief du continuo (qui ici vaut bien des orchestres fournis), attention des chanteurs aux sens du texte, tout coopère et s’accorde, faisant des séquences de somptueuses miniatures lyriques et dramatiques.

 

Clorinde, Lucretia, Procris, …
Les nouvelles héroïnes
révélées par l’ensemble Il Caravaggio

 

Sans décors ni costumes, le geste musical se concentre sur l’intensité du texte, la langue musicale ciselée de Louis-Antoine Dornel (ca 1680 – 1757) pour Le Tombeau de Clorinde (1723), et de Michel Pignolet de Montéclair (1667 – 1737) pour La morte di Lucrecia (qui reste son ultime cantate / Livre III, 1728).
Le plus méconnu, Dornel réinvente en réalité le cadre de la cantate, avec une rare pertinence comme un écho personnel et original au Tancrède de Campra (1702) : c’est ici par la somptueuse voix de basse-taille (baryton / Guilhem Worms) que s’exprime Argant, amant écarté de Clorinde (dans le roman source La Jérusalem délivrée du Tasse) et qui agit comme « l’historien », c’est à dire le narrateur. Les 3 airs offrent une incarnation passionnante à suivre, celle d’un amoureux éconduit qui aime toujours celle qui est désormais morte au combat ; où le désir intact se fait chant guerrier : l’ardeur au combat s’assimilant à l’acuité du sentiment amoureux.

Dornel sculpte la passion guerrière du chevalier, âme inconsolable de la perte de celle qu’il aime, Clorinde (elle a succombé sous les coups du chevalier chrétien Tancrède). L’échelle des passions verse de la déploration initiale (1er air) à une rage vengeresse (2è air), de plus en plus déterminée, dont la cible est Tancrède : voix ample, articulée, proche du texte, Guilhem Worms projette le texte tout en incarnant les ressentiments du chevalier à la fois éploré et furieux. Le baryton sait ailleurs nuancer une lyre plus attendrie dans la chanson béarnaise anonyme qui chante la souffrance amoureuse d’une fillette blonde de quinze ans : dépit langoureux, solitude nostalgique, la basse-taille cisèle le texte avec un mordant délectable comme enivré.

Avant de triomphé à l’Opéra avec sa Jephté de 1732, La Lucretia de Montéclair, permet au compositeur, contrebassiste à l’Opéra, d’affirmer une autre modulation dans l’originalité ; c’est un long monologue pour voix seule, tragique, pathétique avec sa morale finale (le dernier récitatif). Italien dans le style (et la langue), Montéclair offre lui aussi une somptueuse opportunité pour la chanteuse (ici Victoire Bunel), d’incarner l’héroïne romaine, épouse du futur consul Collatinus, Lucretia, violée par le fils du roi, Tarquin. Digne, Lucretia se donne la mort plutôt que survivre à la honte et au déshonneur. Montéclair analyse et interroge le vertige qui déchire son héroïne, entre sa résolution à mourir et le regret de quitter ce qu’elle a aimé. Le point culminant de ce parcours tendre et sombre à la fois, est le dernier récitatif funèbre, dont la gravitas pergolésienne indique le tempérament opératique de l’auteur, digne serviteur de celle qui même morte, demeure victorieuse au Capitole.

Dès le premier récitatif, la soprano Victoire Bunel exprime toute la passion et les forces engagées qui animent l’encore digne Lucretia, en vérité intérieurement détruite, à l’adresse de celui qui l’a violée, l’indigne et fuyant Tarquin. Le soprano ardent, articulé de Victoire Bunel communique la dévastation d’un coeur qui a tout perdu (« Dove vai » / où vas-tu ?). Le chant dessine une surenchère de sentiments exacerbés que les instruments ravivent constamment (superbe premier violon) avec nuances et finesse intérieure (contrastes maîtrisés dans le 2è air : « Coraggio, miei Spirti » / Courage mes esprits), jusqu’au suicide, assumée, droit, inéluctable avec une conscience saisissante, inflexible (3è air : « Assistemi, oh Dei » / Assistez-moi, O Dieux) : lente descente dans la mort espérée. Les instrumentistes d’Il Caravaggio dessinent ensuite le tombeau pour celle qui sut recouvrer son honneur… L’implication des interprètes s’avère aussi juste que percutante, restituant aux mânes sacrifiées de la suicidée admirable, sa gloire posthume.

En ajoutant des extraits du Ballet des amours déguisés de Lulli (1664) – avec le mezzo expressif d’Anna Reinhold, Camille Delaforge souligne combien le style italien est un modèle incontournable alors qu’à Versailles et à la Cour de Louis XIV, l’opéra n’existe pas encore ; l’Italie ressuscite encore chez Montéclair, ardent partisan des goûts réunis. Italophile aussi, Elisabeth Jacquet de la Guerre a œuvré pour l’introduction de la cantate italienne en France : les extraits de son opéra Céphale et Procris (1694), premier drame lyrique composé par une femme à l’Académie royale, révèle plus qu’un talent à l’opéra : un génie féminin qu’il est temps de réévaluer à sa mesure, ici, mieux inspiré encore que Lully – l’air / prière, lamento « Lieux écartés » de inconsolable Procris (début acte II) est un modèle du genre par l’éloquence de la musique et le raffinement juste de sa prosodie.

La carte expressive et sonore de l’ensemble dirigé par Camille Delaforge franchit un palier supplémentaire dans la caractérisation la mieux ouvragée : les deux voix accordées, attendries (Victoire Brunel et Guilhem Worms) renforcent ce jeu des contrastes (vocaux et instrumentaux) qui souligne la justesse poétique du texte « Nos esprits libres et contents » du Ballet de la Reine (1609) ; pièce finale de ce somptueux programme qui en parlant de cœur, touche l’âme. Ce dernier volet (où un couple épargné, conscient, savoure d’être à l’abri des fureurs de l’amour – et des flèches du dieu Cupidon-) témoigne d’un geste musical d’une indiscutable sincérité.
Au plaisir de la découverte, les musiciens d’Il Caravaggio, ajoutent l’argumentation d’interprètes très convaincus, engagés dans un programme aussi original que cohérent. Passionnant.

 

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Critique CD événement. Héroïnes : Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge – 1 CD Château de Versailles Spectacles – Collection La Chambre des Rois n°10 – ref. : CVS090- Enregistré au Château de Versailles en déc 2021 (Salle Marengo) – Cantates et Symphonies de Lully, Jacquet de la Guerre, Montéclair, Dornel, Grandval… Victoire Bunel · Anna Reinhold · Guilhem Worms / Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge – Clavecin & direction. CLIC de CLASSIQUENEWS été 2023 – PLUS D’INFOS sur le site de l’Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge : https://www.ensembleilcaravaggio.com/disque-heroines

 

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TEASER VIDÉO : HÉROÏNES, Cantates françaises | CD – Label Château de Versailles Spectacles :

 

 

 

 

Ensemble Il Caravaggio :

 

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