Debussy se révèle bien être le « Verlaine » de la musique, tant son écriture déploie l’ivresse flexible, la sensualité serpentine, à la fois capiteuse et transparente du poète, et que sait lui apporter non sans pertinence, la baguette enivrée et précise de Mikko Franck.
Le cycle des 10 poèmes d’après Verlaine, de « C ‘est l’extase langoureuse » à « La mer est plus belle » est ici serti dans la propre sensibilité du compositeur Robin Holloway (né en 1943) dont l’approche raffine un orchestre des plus étincelants et scintillants, très proche du pointillisme évanescent debussyste. Son épilogue (en place 11) résume les vertiges éperdus ressentis, vécus à travers le cycle précédent, auquel la voix souple et superbement timbrée de Vannina Santoni offre charme hypnotique et langueur infinie. Murmures enamourés, cris « doux », ondes fascinantes et miroitantes… le chef déploie une palette inouïe de couleurs et de timbres ; il fait briller le génie orchestral debussyste, tissant une somptueuse parure orchestrale pour le soprano alliciant, melliflu de la jeune diva. Certes on aurait pu attendre articulation plus intelligible pour goûter et s’en délecter, le verbe amoureux, extatique de Verlaine – hélas souvent noyé dans la texture symphonique. Mais quelle impression d’envoûtement, quelle fusion voix / orchestre. Le résultat est magistral et nous tenons la référence récente de ce cycle poétique révolutionnaire. Le poison d’un amour insatisfait et vénéneux se dévoile aussi dans « L’ombre des arbres » (III) : Claude désespère de devoir partir pour la Villa Medicis, car sa séparation d’avec Marie-Blanche Vasnier le tourmente au plus haut point. La mélodie dépeint un paysage intérieur dévasté.
Ecrite à la campagne, en Bourgogne dès 1903, La Mer est le résultat incroyable de ses souvenirs vécus sur le littoral. La fabrique de l’imaginaire produit un miracle orchestral en 3 « esquisses symphoniques » dont le triptyque suit une trame poétique elle aussi fascinante, noces improbables du vent et de l’eau mouvante grâce à l’immatérialité continue de la musique.
Mikko Franck aborde la partition crée en 1905 avec une sensibilité picturale qui réussit cette fusion idéale entre la matière des timbres associés et la vitalité rythmique ; détente, tension (rondo du III : « Dialogue du vent et de la mer »), jaillissement, ondulation organique des mouvements entre eux : tout respire l’intranquillité envoûtante de l’eau marine ; et le chef, superbement inspiré, sait rendre, et la verve enchantée, et la rutilante étoffe, affleurante et permanente, des couleurs de l’orchestre. Voici avec son récent enregistrement de la Symphonie de Franck, l’une de ses meilleures réalisations avec le Philharmonique de Radio France. Bravo maestro ! CLIC de CLASSIQUENEWS été 2023 – Note : 5 / 5.
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CRITIQUE, CD événement. DEBUSSY : C’est l’extase, cycle orchestré par Robin Holloway (Vannina Santoni, soprano) / La Mer – Orch Philharmonique de Radio France – Mikko Franck,direction (1 cd Alpha classics – enregistré en sept 2022 à PARIS, Auditorium de Radio France). CLIC de CLASSIQUENEWS été 2023.
AUTRE CD MIKKO FRANCK, critiqué sur CLASSIQUENEWS, Symphonie en ré de César Franck – 2020 – CLIC de CLASSIQUENEWS :