Antonio Rodríguez de Hita fondateur de la zarzuela burlesque, est aussi un auteur inspiré à l’église ; les pièces de ce formidable programme dévoile un génie méconnu des Lumières, réussissant autant sur la scène lyrique qu’au Couvent royal de l’Annonciation…
Hita est bien connu à présent pour avoir conçu la Zarzuela « Briseida » créée au Théâtre du Prince à Madrid en juillet 1768, le plus grand succès du XVIIIè et pour, l’auteur un coup de maître. Le compositeur allait récidiver avec « Las segadoras de Vallecas » (septembre suivant), acte fondateur de la zarzuela dite « burlesque ». Créateur de génie, en particulier dramaturge inspiré, Hita ainsi hissé au sommet, rivalisait avec CPE Bach, les grands Napolitains Piccinni, Traetta et même le Vénitien Galuppi. Dans les années 1760 – 1770, il illustre à Madrid le goût unanime pour l’esthétique galante.
Personnalité originale, Hita obtient le poste convoité de Maître de la musique du Couvent royal de l’Incarnation, à Madrid (1765) : il y travaille les 20 dernières années de sa vie ; son catalogue est impressionnant et mérite le focus que lui ici consacre Albert Recasens et les solistes chevronnés de sa fabuleuse Grande Chapelle : plus de 250 partitions sacrées attestent d’un génie oublié à Madrid, à l’époque des Lumières (Psaumes, Lamentations, Messes, Motets, Répons, antiennes, etc…). Le corpus ici révélé (en première mondiale) reflète les fruits heureux d’une éclectisme fertile qui puise à de multiples sources et manières, dont Hita assumant pleinement ses choix expressifs et esthétiques, fait la synthèse aussi brillante que personnelle : baroque tardif (façon José de Nebra dans le Credidi entre autres), stile antico strict, écriture classique (avec mélodies symétriques…), style galant « international » (Omnes de Saba).
Rodríguez de Hita,
un génie dévoilé du Madrid des Lumières
Emblématique de la réussite générale de ce cd incontournable, le « Laudate Dominum » (1759) comme le « Credidi » de 1766 également à 8 voix, affirment la douceur enivrante d’un Psaume qui berce : instruments et chanteurs cultivent une excellente cohésion collective, le chef travaillant sur le relief individuel des chanteurs mais aussi l’allant très articulé du continuo.
L’ampleur du fugato est ici aussi une autre signature emblématique de la virtuosité du compositeur. La délicatesse du contrepoint indique un maître en la matière qui l’enseignait d’ailleurs dans le cadre de ses fonctions au Couvent royal. Le style d’Antonio Rodriguez de Hita s’affirme ainsi particulièrement raffiné, comme spécifiquement énergique : la Canción 7 de 1751, gorgée d’une vitalité rayonnante, à 2 hautbois obligés, l’indique clairement avec de la part des instrumentistes, une fluidité superlative.
La sélection reflète la diversité d’un style totalement maîtrisé. Motet très dramatique pour l’Annonciation, « Missus est Gabriel » (1777) exploite le timbre du cor, noble et lointain, et un expressionnisme visiblement influencé par l’élégance de l’idéal Empfindsamkeit qui rappelle l’art du Napolitain Jommelli, entre autres, ses œuvres sacrées qui déploient la même nervosité éclatante, conforté par un continuo fin, souple et expressif. Hita y succombe au style galant en affichant une maîtrise égale.
Très recueilli et d’une soie fervente à la fois grave et mordante, ce pendant plus de 8 mn (!) l’hymne central « Ave Maris Stella » (à 4) de 1772, avec le duo des hommes, cor à l’appui, dessine et creuse les arabesques vocales de cette ferveur rayonnante et apaisée.
Même certitude pleine de sérénité et de lumière dans la soprano agile et clair (Jone Martinez) du « Lamed, Matribus suis » (Lamentation pour le vendredi Saint, pour soprano) de 1770, où l’influence italienne est là encore manifeste.
Pièce maîtresse par son développement (architecture très équilibrée) s’impose le Responsorio IV de Reyes à 8 de 1769 : « Magi veniunt ab Oriente », des plus opportuns en cette période d’après Noël : évocation pleine de joie et de couleurs (« orientales », hautbois et cor obligés) d’une humanité rassemblée, unie dans l’adoration du Nouveau Né… l’activité des cordes bondissantes, souples, nerveuses sans sécheresse vivifie chaque intervention soliste, exprimant une joie irrésistible, cette espérance que les interprètes semblent partager et diffuser aux quatre coins de la planète.
Même acuité expressive, même hédonisme formel dans le régal des timbres et la nervosité toute en souplesse des instrumentistes d’ « Omnes de Saba venient » (1770) où le soprano coloratoure d’une impeccable gradation s’accorde à ses partenaires en une ferveur solaire ; ici la virtuosité et les vocalises ascensionnelles expriment une croyance autant apaisée qu‘incandescente. La plénitude du timbre, son agilité, la justesse expressive sont l’emblème du style de Rodriguez de Hita, éloquence brillante, expressivité ardente, avec cette vitalité superlative. Voilà qui confirme les affinités saisissantes de La Grande Chapelle avec un répertoire rare que son chef, Albert Recasens, comprend comme peu et sait littéralement sublimer. Du reste, la qualité éditoriale du cd – illustrations et textes complémentaires, est à la hauteur de l’interprétation. Superbe révélation.
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CRITIQUE CD événement. Antonio Rodríguez de Hita (1722 – 1787) : l’œuvre sacré en latin : Motets, Hymnes,… La Grande Chapelle. Albert Recasens, direction (1 cd Lauda) – CLIC de Classiquenews hiver 2023. Enregistré au festival de Musique de Granada, juin 2022, dans le cadre de la commémoration du 300è anniversaire de la naissance du compositeur. Durée : 1h08
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur Lauda / La Grande Chapelle : https://laudamusica.com/en/sello-lauda.php