jeudi 28 mars 2024

CRITIQUE, CD. BRUCKNER : Symphonie n°5. Wiener Philharmoniker, Christian Thielemann – 1 cd Sony

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CRITIQUE, CD. BRUCKNER : Symphonie n°5. Wiener Philharmoniker, Christian Thielemann – 1 cd Sony   –   Symphonie du destin certes : le premier mouvement après une intro murmurée, mystérieuse, mozartienne sous le geste souple et nuancé de Thielemann, fait rugir l’orchestre comme jamais, déployant des effectifs surpuissants, wagnériens pour le coup, où s’immisce l’expérience tragique, et le sens d’une grandeur éperdue (grâce à la couleur des cordes viennoises). Laissée inachevée en 1878 (après des reprises), la 5è est finie par Franck Schalk qui dirige sa création en avril 1894, – Bruckner très affaibli n’y participe as et s’éteint 2 ans après. Entre surtension, vertiges, et profondeur, le geste de Thielemann s’énonce là encore – après ses précédentes chez Sony, d’une souplesse habitée ; suave et ardente, enivrée et tendue, exprimant dans chaque séquence, cette urgence et ce désir de dépassement voire de sublimation. A l’écoute d’une force supraterrestre dont l’orchestre exprime la marche inatteignable, Thielemann fait correspondre les séquences « pastorales » pour les vents et bois, clarinette et flûte, d’une douceur tendre irrésistible. Tandis qu’ici, les cordes caressent, s’effacent, dans l’ombre imperceptible. La Gravitas enveloppe et porte le développement de toute l’architecture de chaque mouvement, certains dès avant Mahler, d’une longueur remarquable : plus de 25 mn pour le dernier (Finale, adagio, allegro) ; presque 23 mn pour le premier, à la fois colossal et intimiste.

Gravitas, élégance, raffinement sonore…
Le Bruckner de Thielemann n’en finit pas de séduire et enivrer
dans ses justes proportions

 

 

 

La douceur d’intonation fait de l’Adagio un temps de suspension qui verse dans la rêverie, presque l’insouciance, contrastant de facto avec la rudesse spectaculaire et vertigineuse du tableau précédent. Les cordes déroulent cette couleur remarquable, d’une dignité sombre et subtile, propre aux instrumentistes viennois. Ils réussissent là où personne ne s’impose : diffusant une élégance suave qui se fait suggestive (pizzicatos oniriques), une noblesse confondante qui rétablit de facto les affinités historiques de l’orchestre aves le massif brucknérien (le Philharmonique de Vienne a créé 4 symphonies de Bruckner dont la 4è en 1881).

Thielemann aborde le Scherzo dans une rondeur ivre, telle une danse déboutonnée où l’activité des cordes, leur étonnante versatilité expressive, si riche en nuances, renouvellent constamment l’enchaînement – vivace un rien débonnaire, truculent / trio plus rêveur… cependant rattrapés par une urgence assénée à gros traits, d’une épaisseur visiblement assumée ; ce qui donne à l’ensemble, l’activité d’une grosse machine fanfaronnante, tournant à vide, emporté par un irrésistible fatum.

Tout baigné d’une douceur enveloppante et comme distanciée, le début du Finale (avec le superbe éclat de la clarinette solo), saisit par l’intelligence des cordes, aussi somptueuses que mystérieuses.
La fugue élargie à l’échelle du cosmos, les vents et les bois, badins à souhait, composent un cheminement qui comme amoureusement porté par l’ivresse des cordes enivrées et fluides, expriment la grandeur et la noblesse d’une espérance croissante, celle en lien avec la spiritualité ardente d’un Bruckner, aussi déterminé qu‘affecté. Thieleman dans une sonorité magique des cordes (déjà malhérienne), exprime cette ambivalence spirituelle ; comme si même au comble du ravissement mystique, Bruckner n’oubliait pas la menace tapie dans l’ombre incertaine ; plénitude et panique fusionnent dans un continuum qui va en s’élargissant et s’élevant vers la lumière miraculeuse.
A croire que dans l’énoncé du choral ainsi de plus en plus asséné, Bruckner en docteur théologique, professait son indéfectible croyance. Thielemann, disciple brucknérien convaincu, rétablit les proportions tronquées et même dénaturées par la révision de Schalk en 1894 (une fausse création en réalité) ; a contrario, chef et instrumentistes nous en offrent l’argumentation orchestrale la plus claire et la mieux détaillée. Avec ce qu’il faut d’hédonisme instrumental (les cordes décidément somptueuses des Wiener oblige) pour mieux toucher et convaincre. Qu’elle soit ou non la plus « théologique » des symphonies de Bruckner, la 5è gagne une sincérité fervente. Thielemann et les Viennois nous immergent dans les affres, vertiges et aspirations de la ferveur brucknérienne en n’écartant rien de leur somptueuse parure (pour que les portes du ciel s’ouvrent enfin au terme de cette graduation du colossale et du solennel). Ce travail sur le sens et la forme (intensité et plénitude de la sonorité dans le finale) captivent, autant que l’intégrale en cours, ciblant elle aussi le bicentenaire Bruckner 2024, mené par Andris Nelsons à Leipzig avec le très convaincant Gewandhausorchester.

 

 

 

 

 

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CRITIQUE, CD. BRUCKNER : Symphonie n°5. Wiener Philharmoniker, Christian Thielemann – 1 cd Sony – enregistré en mars 2021, Vienne, Musikverein.

 

 

 

 

Approfondir
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LIRE aussi notre CRITIQUE CD. BRUCKNER : Symphonies n°1, n°5 (Gewandhausorchester Leipzig, Andris Nelsons – Live 2020 – 2021 – 2 cd Deutsche Grammophon) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-bruckner-symphonies-n1-n5-gewandhausorchester-leipzig-nelsons-live-2020-2021-2-cd-deutsche-grammophon/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AUTRE CD BRUCKNER par Christian Thielemann / Sony classical :

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CD événement critique. BRUCKNER symphonie n°4 / WAB 104 (Edition Haas – Thielemann, Wiener Philh. 2020, Salzbourg, 1 cd SONY) – Voilà déjà le 3è volume d’une future intégrale Bruckner par Christian Thielemann, à la tête des Wiener Philharmoniker. L’orchestre autrichien semble comprendre naturellement l’écriture brucknérienne puisqu’il la joue depuis 1873 : une continuité et une histoire qui explique d’évidentes affinités. La 4è, créée en 1881, est un sommet entre puissance, spiritualité et tendresse pastorale.
Dès le premier mouvement, Thielemann sait s’appuyer sur l’éloquence grandiose des Wiener, fabuleux instrumentistes d’une clarté discursive. La noblesse spectaculaire des cimes (cuivres solennels et majestueux voire héroïquement fracassants, c’est à dire …. parsifaliens) semble dialoguer voire batifoler avec les séquences de pur pastoralisme, émanation de la Pastorale de Beethoven dont Thielemans fait surgir l’énergie ; le chef sait détailler et aussi faire rugir son collectif ; mais en accordant à la fureur cuivrée de la fanfare cette coloration nuancée qui verse la puissance dans… le mystère ; heureuse sensibilité qui atténue la sécheresse des tutti en répétition. Il est évident que Mahler saura recueillir la leçon brucknérienne dans ces étagements qui convoquent le cosmos.
II : Les cordes étirent leur ivresse plus intérieure ; avec une attention chambriste aux parties plus intimiste des instruments en dialogue (cor, flûte,…)… Thielemans précise encore sa compréhension du paysage brucknérien, entre noblesse introspective et irrémédiable allant, une équation très convaincante qui superpose activité souveraine et aspiration spiritualisée vers les cimes, soit une opération en métamorphose que César Franck réalisera aussi dans le dernier mouvement de son unique symphonie (à peu près contemporaine, 1888 / 1889). étranger au principe cyclique du Liégeois, Bruckner quant à lui développe sur la répétition des alliages de cuivres, expositions, réexpositions jamais identiques, que le chef sait colorer et nuancer à chaque émission. La spatialisation est somptueuse : élargie, instaurée par l’individualisation de la flûte, clarinette et surtout du cor, idéalement lointain, suggestif, évanescent…
III : le Scherzo est un jaillissement heureux de la fanfare à laquelle répond la souplesse des cordes, elles aussi enivrées. Conquête de la grandeur, voire de l’extase des hauteurs saintes, s’appuyant sur le corps des cors épanouis des chasseurs. Le Trio est élégiaque, dans l’esprit d’une aubade très XVIIIè,..
IV. Comme l’indication d’un parcours qui s’est fait ascension, le splendide portique d’entrée du IV séduit par sa noblesse ample, signe d’une conscience élargie (voire d’une proclamation tellurique) à laquelle les cordes badines et élégantissimes (colorées par la flûte irradiée) savent répondre tout en éloquente souplesse.
Ce jeu qui alterne avec une sensualité détaillée les blocs (cuivres / cordes / bois) enrichit une lecture à la fois grandiose et chambriste dont l’équilibre s’avère très séduisant. Dans le dernier motif des cuivres, se précise la grandeur du dieu souverain que Bruckner dont il ne faut pas minimiser la ferveur sincère, sait convoquer aux cimes, comme un intercesseur bienfaisant. Comme un symphoniste officiant. La lecture est à la fois solennelle, humaine, divine. Magistral. Cette intégrale Bruckner par Thielemann est à suivre indiscutablement.

 

CD événement critique. BRUCKNER symphonie n°4 / WAB 104 (Edition Haas – Thielemann, Wiener Philh. 2020, Salzbourg, 1 cd SONY)

 

PLUS D’INFOS sur le site de SONY CLASSICAL :
https://www.sonyclassical.com/releases/releases-details/bruckner-symphony-no-4-in-e-flat-major-wab-104-edition-haas-2

 

 

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