vendredi 29 mars 2024

COMPTE RENDU, opéra. VENISE, La Fenice, nov 2013. MEYERBEER : L’Africaine, Kunde, Vuillaume

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fenice-africana vuillaume pratt kunde critique opera review opera concert classiquenewsCOMPTE RENDU, opéra. VENISE, La Fenice, nov 2013. MEYERBEER : L’Africaine, Kunde, Vuillaume. VENISE, NOVEMBRE 2013. Après Les Huguenots, – tragédie sur l’intolérance humaine, la barbarie des fanatiques, Scribe et Meyerbeer s’attèlent à leur nouvel opéra en 1837, sur le thème de l’étrangère, à partir de la figure historique et exotique de Vasco de Gama. Les auteurs ciblent en particulier la découverte du Nouveau Monde puis son exploitation méthodique par les colons européens. Le sujet est mordant, la mise en forme, ambitieuse… Le compositeur n’oublie pas l’alibi de la violence dominatrice, son corolaire religieux, puisque à travers l’Inquisiteur, c’est le fanatisme qui est bien épinglé aussi. Meyerbeer devra patienter cependant, tenté par d’autres ouvrages préalables qui passent par le genre « comique » et léger : L’Etoile du Nord et Dinorah. Puis Scribe meurt en 1861, et lui-même décède en 1864 quand la partition de L’Africaine est achevée et mise en répétitions. Les coupures et refondations que le compositeur savait orchestrer n’ont pas lieu : il nous lègue une version plus que complète, parfois indigeste, dans laquelle tous les chefs peuvent opérer des tailles salvatrices. Car la création en 1865 – l’année de la création de Tristan de Wagner, c’est Fétis qui a réagencé l’œuvre de Meyerbeer, sans guère d’unité, quitte à la rendre justement trop copieuse.
Emmanuel Villaume tout en raccourcissant, a préservé le souffle vital de l’orchestre, acteur du drame : l’ouverture et les préludes des actes III et IV en témoignent. Ailleurs, l’activité permanente du chant symphonique honore la réputation de Meyerbeer et l’on comprend que le symphoniste Wagner, ait tant admiré l’allure des opéras de Giacomo (fût-il juif.…). Quand on sait l’antisémitisme du compositeur, l’adoration n’est pas neutre. Mais Wagner n’en est pas à sa première contradiction, adulant et défendant le chef créateur de Parsifal, lui aussi juif, Hermann Lévi (1882). De fait, il faut un vrai chef capable d’éclairer les couleurs de la partition qui brille par son orchestration raffinée.

Dans cette version édulcorée, repensée par le chef, on peut aisément mesurer le génie de Meyerbeer, puissant créateur dans le genre du grand opéra à la française, où à un quatuor vocal solide, répond la fougue murmurée, rugissante de l’orchestre, la part léonine des chœurs omniprésents (chœur des femmes du III)… Ainsi l’acte III cumule les effets des plus contrastés tel un catalogue de rebondissements éclectiques (prière des marins, tempête, guerre maritime, enfin… massacre).

La Fenice peut s’enorgueillir de présenter telle lecture du dernier sommet lyrique de Meyerbeer quand Paris hésite à le produire malgré des possibilités … solides. Préférant Verdi et Puccini aux joyaux du patrimoine romantique et français.

Le Nelusko de Angelo Veccia est très crédible, vocalement agile, dramatiquement intelligent : le geste est entier et la voix sombre. Inès voit son profil de victime, ciselé par Jessica Pratt, au timbre charnu et aux aigus jamais contraints. Selika, elle aussi éprise de Gama, trouve en Veronica Simeoni, une personnalité de poids, elle aussi, en rien, décontenancée par les milles rudesses et épreuves qu’infligent sa partition : sa nature est loyale et déterminée jusqu’à son sacrifice final. Car il y faut de la souplesse expressive dans l’aigu comme dans le grave… En Vasco de Gama, Gregory Kunde séduit par la franchise et la sincérité d’une voix à présent mûre mais qui a conservé son impact et son intensité, une clarté qui sert l’intonation et l’articulation.

Meyerbeer a conçu un grand spectacle sans sacrifier les voix ni la crédibilité des situations (le grand septuor de l’acte II, ;le duo de Vasco et Selika au IV, emprunté à celui de Valentine / Raoul des Huguenots ; berceuse de Sélika ; « Ô Paradis » de Vasco, …). Cette Afrique a tout de l’Inde : dont les rives furent rejointes par l’explorateur Vasco de Gama. Las, sur scène, on regrette une confusion qui gêne l’éclat des profils (superbes, affrontés comme la confrontation des deux héroïnes rivales à l’acte V), la pertinence des thématiques dénoncées par les auteurs. Malgré son titre, l’action se déroule dans une contrée aux vagues références hindouistes (ces « africains » adorent Brahma). Une meilleure attention aux équilibres entre tableaux collectifs et prières ou impuissances individuelles eût été profitable. Néanmoins, l’expérience tentée par La Fenice rend justice à un opéra parmi les plus saisissants et touchants de Meyerbeer : les interludes avec projection vidéo d’images affligeante du colonialisme esclavagiste témoigne de la réalité barbare à l’époque de Gama, car Meyerbeer, tout pompeux qu’il soit, n’en a pas perdu son sens militant et humaniste. Reste qu’une version révisée, équilibrée est toujours à présenter. Cette production vénitienne offre une belle fondation à ce travail futur. Repris à Paris ? – où l’Africaine n’a pas été présentée depuis 1902. A voir indiscutablement.

 

 

 

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COMPTE RENDU, opéra. VENISE, La Fenice, nov 2013. MEYERBEER : L’Africaine, Kunde, Vuillaume.

Giacomo Meyerbeer : L’Africaine
Opéra en cinq actes, livret d’Eugène Scribe
Création posthume, à Paris, salle Le Pelletier, le 28 avril 1865
Nouvelle production de la Fondation Teatro La Fenice
Pour le 150è anniversaire de la mort de Giacomo Meyerbeer

Emmanuel Villaume, direction
Mise en scène : Leo Muscato

Ines : Jessica Pratt
Vasco de Gama : Gregory Kunde
Nelusko : Angelo Veccia
Selika : Veronica Simeoni
Le Grand Prêtre de Brahma : Ruben Amoretti
Don Pedro : Luca Dall’Amico
Don Diego : Davide Ruberti

Orchestre et chœur du Théâtre de La Fenice
Chef du chœur : Claudio Marino Moretti
Filmé en novembre 2013.

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