COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. Barcelone, Liceu, le 14 avril mai 2021. Verdi : Otello. Gregory Kunde, Krassimira Stoyanova, Carlos Ălvarez. Gustavo Dudamel / AmĂ©lie Niermeyer.  Par notre envoiĂ© spĂ©cial Narcisso Fiordaliso.
On croit rĂȘver : une salle remplie de spectateurs (certes, moitiĂ© moins que les ors de la cĂ©lĂšbre salle peuvent en contenir), un orchestre dans la fosse, des chanteurs Ă©voluant librement sur le plateau et mĂȘme une mise en scĂšne. Ailleurs en Europe, ce scĂ©nario ressemble Ă de la science-fiction, Monaco et le Luxembourg exceptĂ©s. Mais en Espagne, câest une rĂ©alitĂ© qui dure malgrĂ© la pandĂ©mie. Le Liceu a bien Ă©tĂ© obligĂ© de fermer quelques temps, mais câĂ©tait pour mieux rouvrir rapidement et accueillir le public dans des conditions sanitaires sĂ»res.
Câest donc avec un bonheur non dissimulĂ© quâon pĂ©nĂštre dans lâillustre théùtre et quâon prend place dans notre fauteuil.
Le rideau se lĂšve sur la production dâAmĂ©lie Niermeyer arrivĂ©e tout droit de Munich, en remplacement de celle initialement prĂ©vue, imaginĂ©e par Keith Warner et venant de Londres.
La femme de théùtre allemande nous montre les deux univers bien distincts dans lesquels Ă©voluent Otello et Desdemona : lumineux et innocent pour elle, obscur et inquiĂ©tant pour lui. Deux mondes qui se frĂŽlent, se rencontrent puis se sĂ©parent, jusquâĂ ce que le Maure entraine son Ă©pouse dans le sien et lui ĂŽte la vie. Une scĂ©nographie intĂ©ressante, ouvrant de passionnantes perspectives, mais dont on sent parfois quâelle a Ă©tĂ© taillĂ©e sur mesure pour dâautres interprĂštes, Jonas Kaufmann et Anja Harteros pour ne pas les nommer.
En effet, les trois protagonistes de cette soirĂ©e semblent parfois devoir composer entre leurs habitudes dans cet ouvrage, quâils ont interprĂ©tĂ© de nombreuses fois, et les consignes que leur impose la mise en scĂšne. On imagine assez facilement que la production plus traditionnelle en provenance de Londres leur aurait convenu plus naturellement.
CarrĂ© dâAs
Mais nous rendons vite les armes, tant nous sommes face aux plus grands titulaires de ces rÎles à notre époque.
Carlos Ălvarez incarne un magnifique Iago, vĂ©ritable baryton Verdi, tout Ă la fois corsĂ©, puissant et triomphal, ciselant le texte. On aurait aimĂ© parfois davantage de variations dans les couleurs et les nuances, mais la soliditĂ© de lâartiste emporte tout sur son passage, notamment dans un Credo dĂ©vastateur.
La Desdemona de Krassimira Stoyanova fait admirer une fois encore sa science du chant et la fraicheur veloutĂ©e de son instrument aprĂšs plus de vingt-cinq ans de carriĂšre, mĂ©dium solidement ancrĂ© et grave charnu. Et si certains aigus forte pourraient se dĂ©ployer plus largement, son passĂ© de violoniste refait surface lors dâune Chanson du Saule et dâun Ave Maria phrasĂ©s archet Ă la corde et couronnĂ©s de pianissimi de haut lignage. Un modĂšle pour les jeunes gĂ©nĂ©rations.
Dans le rĂŽle-titre, Gregory Kunde continue de nous Ă©tonner dans ce personnage quâil a abordĂ© voilĂ bientĂŽt dix ans. A 67 printemps, le tĂ©nor amĂ©ricain continue de dĂ©fier le temps : si le timbre grisonne et le grave se fait parfois tĂ©nu, le mĂ©dium affiche toujours un aplomb inĂ©branlable et, surtout, lâaigu fuse telle une lame, tranchant, arrogant, jamais Ă court de squillo et de vaillance. A ce titre, dĂšs son entrĂ©e, lâEsultate annonce dâemblĂ©e la couleur, avec un si naturel de passage littĂ©ralement dardĂ© et mĂȘme tenu, comme peu de titulaires avant lui. Lâartiste semble particuliĂšrement bien accordĂ© Ă son Iago, ce qui nous vaut un duo Ă©lectrisant Ă la fin de lâacte II. Photo : Gregory Kunde (DR).
Lâentracte passĂ©, il Ă©meut dans un « Dio mio potevi » bouleversant de sincĂ©ritĂ©, pour achever la soirĂ©e dans une Mort littĂ©ralement murmurĂ©e, en grand musicien quâil est. AcclamĂ© aux saluts, il prouve une fois encore quâil fait partie des artistes majeurs de notre temps, et que, comme son mentor Alfredo Kraus, avec qui il partage la mĂȘme longĂ©vitĂ© vocale, lâheure de la retraite est encore loin.
Autour de ce trio majeur, la maison catalane a rĂ©uni une belle distribution : aux cĂŽtĂ©s des efficaces Lodovico et Montano de Felipe Bou et Fernando Latorre, le Cassio dâAiram HernĂĄndez se dĂ©fend bien â malgrĂ© une Ă©mission manquant dâaccroche â, lâEmilia de Mireia PintĂł apportant sa maturitĂ© et sa fougue au personnage dâEmilia.
Mention spĂ©ciale pour le Roderigo percutant de Francisco Vas, tĂ©nor de caractĂšre indissociable des scĂšnes espagnoles, qui fĂȘte ce soir-lĂ son dĂ©part en retraite aprĂšs trente annĂ©es de bons et loyaux services. Il est particuliĂšrement Ă©mouvant de voir ainsi public et collĂšgues remercier cet artiste qui faisait partie de la maison.
Excellent Ă©galement, le chĆur se montre particuliĂšrement investi et montre sa belle forme malgrĂ© le port du masque.
A la tĂȘte dâun orchestre des grands soirs tout entier Ă son Ă©coute, Gustavo Dudamel, deux jours avant sa nomination en tant que directeur musical de lâOpĂ©ra National de Paris, transforme le brelan en carrĂ© dâAs. Sa direction flamboyante parait particuliĂšrement inspirĂ©e par lâouvrage, dans lequel il peut mettre Ă profit son expĂ©rience symphonique tout en prenant soin des chanteurs, Ă lâunisson desquels il articule littĂ©ralement. Il parvient ainsi Ă mettre en valeur la richesse de lâĂ©criture orchestrale sans jamais perdre de vue le drame et son inĂ©luctable progression. Du grand art. Une soirĂ©e inoubliable, qui dĂ©montre de façon Ă©clatante, malgrĂ© la situation sanitaire, Ă quel niveau de qualitĂ© lâEspagne est capable de porter lâopĂ©ra.
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COMPTE-RENDU; critique, opĂ©ra. Barcelone, Liceu, 14 avril 2014. Verdi : Otello. Avec Otello : Gregory Kunde ; Desdemona : Krassimira Stoyanova ; Iago : Carlos Ălvarez ; Cassio : Airam HernĂĄndez ; Emilia : Mireia Pintó ; Roderigo : Francisco Vas ; Lodovico : Felipe Bou ; Monatano : Fernando Latorre. ChĆur du Gran Teatre del Liceu ; Chef de chĆur : Conxita Garcia. Orquestra SimfĂČnica del Gran Teatre del Liceu. Direction musicale : Gustavo Dudamel. Mise en scĂšne : AmĂ©lie Niermeyer.