vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, opéra. Paris. TCE, le 28 février 2017. Monteverdi : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie. Villazon, Kozena, Haïm / Clément.

A lire aussi

monteverdi claudio portraitCompte rendu, opéra. Paris. TCE, le 28 février 2017. Monteverdi : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie. Villazon, Kozena, Haïm / Clément. Production de choc au Théâtre des Champs Elysées ! Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Claudio Monteverdi, d’après Homère, vient finalement à l’avenue Montaigne. Une rareté déjà en tant qu’oeuvre baroque, la période la moins représentée dans la programmation de l’illustre théâtre, (l’oeuvre date de 1640), mais aussi puisqu’il s’agît d’une version mise en scène, coproduite, et avec une distribution protéïforme orbitant officiellement autour des stars protagonistes Rolando Villazon et Magdalena Kozena. Le Concert d’Astrée est sous la direction d’Emmanuelle Haïm et la mise scène est signée Marianne Clément.

 

 

 

MONTEVERDI-ULYSSE-VILLAZON-KOZENA-classiquenews-20170218-66TCE Vincent-Pontet

 

 

Le retour d’Ulysse : une modernité qui dérange

 

 

Claudio Monteverdi est connu comme le père de l’opéra grâce à sa célèbre « fable en musique », L’Orfeo, créée à Mantoue en 1607 (le père véritable est Jacopo Peri avec son Euridice et son Dafné de 1598 et 1600). De ses « opéras » ayant survécu au passage du temps, il nous reste deux opus tardifs, l’Ulysse en question (1640) et l’apothéose d’une oeuvre clé, Poppea (1642). Si l’Orfeo sollicite un orchestre important, plus par le nombre et la diversité des groupes que par le nombre d’interprètes, évidemment, et ce à cause des conditions spécifiques de sa création, l’Ulysse paraîtrait à ses côtés une pièce intimiste sur le plan instrumental. La différence frappante est en l’occurrence le développement des formes musicales, frôlées, voire absentes dans l’Orfeo du début du XVIIe siècle. L’action ne se déroule plus que sur des récitatifs ; le drame avance aussi grâce aux nombreux ariosi, airs et duos. Une autre question propre à l’œuvre par rapport aux deux autres opéras de Monteverdi est l’aspect tendre, humain, carrément fluide de l’histoire, en dépit de la longueur et du fond mythologique. Pour cette première, le Concert d’Astrée sous la direction d’Emmanuelle Haïm est d’une étonnante réserve, presque sec. Si le continuo est comme d’habitude magistral, il n’est assuré que dans les mains des seuls 9 musiciens ; mais les effets « spéciaux » et comiques sont bien là alors que l’orchestre est particulièrement en retrait par rapport aux chanteurs sur scène.

Le livret du Retour d’Ulysse dans sa patrie est écrit par Giacomo Badoaro d’après les livres 13-23 de l’Odysée d’Homère. Beaucoup d’ancre a coulé sur l’authenticité de l’opéra, certains le voyant comme étant en-dessous de l’Orfeo et de Poppea. Il existe également la question du manuscrit et de l’édition critique. Pour cette première parisienne, une version en trois actes avec prologue est présentée, nous ignorons par contre l’édition (il ne s’agît sûrement pas de celle de Harnoncourt de 1971). L’approche des équipes artistiques paraît s’inscrire dans cette volonté apparente de faire un Retour plus ou moins unique. A côté de la réserve instrumentale, le chant est, lui, au sommet de l’expressivité. Si la distribution peut paraître inégale par rapport au mélange des spécialistes du répertoire baroque et des non-spécialistes, un tel mélange nous semble être cependant d’une grande pertinence en 2017.

Adieux aux cases étroites du lyrique…

ulysse ulisse monteverdi tce villazon kozena classiquenewsIl est vrai qu’on accepte généralement que qui dit baroque dit staccato, ignorant par confort que la période baroque est tout simplement la plus longue au niveau historique, et qu’elle comprend l’étrange expressionnisme visionnaire d’un Gesualdo, le peps d’un Vivaldi, le lyrisme sublime d’un Haendel, la polyvalence savante d’un Zelenka, le cosmopolitisme d’un Telemann, l’architecture imposante d’un Rameau, le théâtre d’un Purcell, la douceur ambigüe d’un Pergolesi, etc., etc. Peut-être nous aimons oublier que l’opéra est un art vivant, et que comme toute chose vivante, quand elle ne se transforme pas avec le temps, elle stagne et périt à la fin. Surtout nous oublions rapidement que toutes ces catégories musicales ont été créées a posteriori, et que les conventions sont autant temporaires qu’arbitraires. A l’occasion, Monteverdi au Théâtre des Champs Elysées en 2017 est un exemple, heureux, de l’ouverture et du potentiel polyvalent souvent négligé de cette forme d’art, à notre avis l’œuvre d’art totale !

Dès le début, nous sommes impressionnés par l’amour / Minerve d’Anne-Catherine Gillet, pétillante à souhait, ainsi que par la Mélantho délicieuse d’Isabelle Druet, comme l’Eurymaque au timbre presque romantique d’Emiliano Gonzales Toro. Remarquons également l’Antinous à l’instrument sombre et séducteur de Callum Thorpe, le Télémaque rayonnant, presque électrique de Mathias Vidal, l’Eumée correcte de Kresimir Spicer, et surtout l’Euryclée réussie de Mary-Ellen Nesi, sollicitée au pied levé suite à la désafection d’Elodie Méchain portée souffrante, sans omettre le fabuleusement drôle Irus de Jörg Schneider, au style et chant irréprochables, tour de force comique de la production, indéniablement.

La mezzo-soprano tchèque Magdalena Kozena quand à elle campe une Pénélope de grande beauté et dignité. Des spectateurs limités par leur habitude de la voir chanter Carmen et des rôles du répertoire de la période classique, ont voulu croire qu’elle n’avait absolument rien à faire dans du baroque. Ils oublient peut-être le parcours de la cantatrice dont les débuts sont tout à fait… baroques ! Sont indiscutables son beau legato dans ses monologues, une grande concentration vis à vis des actions se déroulant sur scène.

Le cas Rolando Villazon est un autre phénomène qui renvoie à l’attachement têtu à certaines conventions. Avant de parler de sa performance, nous aimerions rappeler à nos lecteurs que la vocation du chant baroque n’a jamais été de se soumettre bêtement à n’importe quel dogme stylistique, le purisme artistique étant, aussi, une création entièrement moderne… Rolando Villazon n’est pas complètement étranger à ce répertoire, il a déjà chanté et enregistré Il combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi avec le même chef et orchestre en 2006. Si son vibrato puissant renvoie immanquablement à ses rôles romantiques qui l’ont fait connaître, nous sommes plutôt frappés par sa voix seine et son travail d’acteur auquel nous reviendrons. L’Ulysse d’Homère est un héros séducteur et tourmenté, si la tradition nous a habitué à des interprétations uniformes, nous voici devant un Ulysse incarné, qui souffre même sous l’effet de sa propre force. En l’occurrence, s’il paraît être la cible de quelques personnes pour qui il est insupportable de le voir chanter Monteverdi -souffrant ainsi de l’étrange fardeau de sa propre célébrité, l’exception française-, et que maints baryténors anonymes auraient souhaité interpréter le rôle à sa place ; le public en termes généraux semble tout à fait sensible à sa proposition musicale et sa performance, habitée, aux parfums de surcroît masculins, avec un vibrato large remplissant le théâtre, et surtout avec le courage de s’approprier un personnage complexe, proposant ainsi des interventions audacieuses sur sa partition, qui vibre davantage grâce à son interprétation unique.

L’aspect peut-être le plus remarquable de la production est la mise en scène contemporaine et intemporelle de Mariame Clément et son équipe. Toujours pragmatique, elle situe l’action dans le décor unique d’un palais aux allures néoclassiques quelque peu délabré. D’inspiration ouvertement POP et avec quelques coupures heureuses dans la partition, la proposition de Clément est intelligente, poétique, surtout riche d’humour. Les dieux sont placés presque exclusivement dans le Bar de l’Olympe en fond de scène, où ils trinquent, jouent de façon insouciante. L’incroyable scène finale de l’acte II où Ulysse tue les prétendants de Pénélope à l’arc est un sommet d’humour comme nous en avons rarement vu au Théâtre des Champs Elysées, ni ailleurs dans Monteverdi. Il n’y a pas de véritable excès dans la proposition, malgré le rejet d’un nombre de critiques très bruyants, et il ne s’agît surtout pas d’une transposition totale de l’action à la regietheatre, même si le sang … coule (rires). Au contraire, Marianne Clément relève le défi de rendre actuel et accessible l’opus du Seicento, au public divers, cosmopolite généreux et ouvert d’esprit, celui du XXIe. Très fortement recommandé ! A l’affiche au Théâtre des Champs Elysées les 3, 6, 9 et 13 mars 2017, diffusé par France Musique le 26 mars à 20h également.

 

 

 

____________________

 

Compte rendu, opéra. Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 28 février 2017. Claudio Monteverdi : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie. Rolando Villazon, Magdalena Kozena, Anne-Catherine Gillet, Jörg Schneider… Le Concert d’Astrée, orchestre. Emmanuelle Haïm, direction musicale. Mariame Clément, mise en scène.

Illustration : © V. Pontet / TCE 2017

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img