mardi 17 septembre 2024

COMPTE-RENDU, opéra. PARIS, Bastille, le 7 avril 2019. CHOSTAKOVITCH : Lady Macbeth de Mzensk. Metzmacher / Warlikowski.

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Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Bastille, 7 avril 2019. Lady Macbeth de Mzensk, Chostakovitch. Dmitry Ulyanov, Ausrine Stundyte, Pavel Cernoch… Orchestre et choeurs de l’opéra. Ingo Metzmacher, direction. Krzysztof Warlikowski, mise en scène. Chostakovitch, un des derniers compositeurs symphoniques de génie, a créé seulement deux opéras. En cette première printanière, nous assistons à la troisième production parisienne de son chef d’œuvre lyrique, Lady Macbeth de Mzensk, d’après Nikolaï Leskov. L’enfant terrible de la mise en scène actuelle Krzysztof Warlikowski est confié la mise en scène de la nouvelle production, et le chef allemand Ingo Metzmacher assure la direction musicale d’une partition redoutable. Une première d’une grande intensité qui nous rappelle d’un côté la pertinence de l’opus rarement joué, et d’un autre, le fait indéniable que l’opéra est bel et bien un art vivant.

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Balance ton paradigme, mais un seul…

Dans l’opéra, Katerina Ismaïlova est l’épouse du commerçant Zynovi Ismaïlov, lui-même fils du commerçant Boris Ismaïlov. Elle s’ennuie, elle est peu aimée de son mari, souvent humiliée par son beau-père, notamment après le départ temporaire du mari. La cuisinière Aksinia lui fait remarquer le nouvel ouvrier Sergueï, qui avait perdu son travail précédent à cause d’une liaison avec sa patronne. Il et elle / Serguei et Katerina, commencent une relation amoureuse qui est découverte par le beau-père. Elle l’empoisonne, mais celui-ci fait appeler son fils avant son trépas. L’époux arrive : il trouve le couple adultère, qui le tue, puis cache le cadavre dans la cave. Fast-forward aux noces de Katerina et Sergueï où en plein milieu de diverses festivités la police les arrête. Ils sont condamnés aux travaux forcés dans un camp en Sibérie et partent au bagne. Sergueï accuse Katerina d’être la cause de son malheur et la trompe avec Sonietka, une autre condamnée. Katerina n’en peut plus ; elle finit par pousser sa rivale dans l’eau et s’y jeter après. Si le sordide n’assèche pas l’inspiration de Chostakovitch, il lui permet aussi d’écrire une partition orchestralement somptueuse…

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Chostakovitch et son collaborateur, le librettiste Alexandre Preis, s’inspirent d’un conte éponyme du romancier russe Nikolaï Leskov pour l’histoire de l’opéra. Nous sommes en 1934, le compositeur a moins de 30 ans. Si le conte expose la cruauté de la tueuse Katerina Ismaïlova, Chostakovitch, en bon communiste obéissant qu’il était encore à l’époque (protégé du militaire soviétique Toukhatchevski), transforme le drame, et par rapport aux meurtres de son héroïne, et trouve des circonstances atténuantes : il dit qu’ils n’étaient « pas vraiment des crimes, mais une révolte contre ses circonstances, et contre l’atmosphère maladive et sordide dans laquelle vivaient les marchands de classe moyenne au 19e siècle ». Un commentaire destiné à édulcorer un rien la vulgarité ordinaire et cynique du sujet… Cette rationalisation idéologique n’a pas été suffisante pour convaincre les autorités soviétiques qui interdisent l’œuvre. Son adhésion officielle au Parti Communiste en 1961 lui permet de voir l’interdiction levée, et il refait l’œuvre en 1963 dans une version allégée. Son ancien élève, le violoncelliste Rostropovich, dirige et enregistre la version originale pour la première fois en 1978, trois ans après la mort du compositeur.

#MeToo, ok ? OK ???

Sur le plan musical, la fusion du tragique et du cynisme transparaît dans les sonorités polystylistiques et dans le clash violent de l’inconciliable ; des bruits côtoient le contrepoint ; des effets folklorisants et naturalistes couvrent un vaste paysage symphonique, un lyrisme vocal presque vériste coexiste dans un orchestre expressionniste, aux procédés parfois répétitifs, cinématographiques. Les interludes dans l’opus sont les moments les plus beaux et les plus impressionnants dans l’orchestre, même si tout au long des 4 actes, les différents groupes et solistes se distinguent, notamment les bois et les cuivres, ainsi que les percussions que nous félicitons particulièrement. La direction de Metzmacher est claire et limpide, presque belle et émotive, un aspect bienvenu dans une œuvre parfois cacophonique, mais qui ne plaît certainement pas à tous.

La distribution avec des nombreux rôles secondaires est solide dans les performances, même si inégale. Si nous apprécions le chant et le jeu du Pope drolatique de Krzysztof Baczyk, ou l’excellente et intense Sofija Petrovic en Aksinia ; ou encore le jeu d’actrice d’Oksana Volkova en Sonietka, ainsi que les chœurs de l’Opéra (moussogrskiens à souhait, sous la direction du chef des chœurs José Luis Basso), nous retiendrons particulièrement les prestations du couple adultère et du beau-père. Ce dernier, interprété par la basse russe Dmitry Ulyanov se montre maître absolu de la partition difficile, et malgré le grotesque du personnage conquit l’auditoire par un chant parfois d’un lyrisme inattendu.
Inattendue également l’aisance scénique des protagonistes dans la mise en scène très physique de Warlikowski, sur laquelle nous reviendrons. Si le ténor Pavel Cernoch incarne délicieusement l’ouvrier séducteur par son jeu d’acteur et ses tenues révélatrices, il le fait aussi par sa voix solaire au rayonnement sensuel, mais qui n’éclipse jamais rien. La soprano lituanienne Ausrine Stundyte débutant à l’Opéra de Paris captive l’auditoire en permanence, elle dessine un personnage complexe par son jeu d’actrice et campe une prestation monumentale au niveau musical. Le pseudo-air du printemps (ou plutôt air du couchage) à la fin du Ier acte est un moment d’une étrange sensualité musicale, où elle montre déjà toutes le qualités vocales qu’elle exploitera jusqu’à la fin de la représentation. Velours, aisance dans les aigus, projection idéale… Une réussite !

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Et la mise en scène de Warlikowski ? Une immense réussite qui a suscité beaucoup d’émotion à la première. Le Polonais campe une création focalisée sur la question sexuelle, au détriment (ou pas) de l’aspect soviétique / socialiste. Pleinement ancrée dans son temps, la mise en scène a lieu dans un lieu unique, un abattoir de porcs, où l’on a droit a des scènes de viol d’un grand réalisme et intensité, à un grotesque cabaret, et a beaucoup d’attouchements qui ne sont pas gratuits, puisque le parti pris est explicitement en référence à #metoo. Si vous l’ignoriez, la mise en scène en permanence nous le rappelle. On serait tenté de croire que le metteur en scène ait voulu faire une création manichéenne, avec un camp du bien et un camp du mal définis, à l’instar de la réalité médiatique et volonté politique actuelle, mais il nous montre dès le début qu’il ne touchera pas vraiment l’opus du maître (bien lui en fasse), où malgré la sympathie marxiste, tous les camps sont désolants et meurtriers. Lady Macbeth est une machine cynique et lyrique d’un souffle manifeste. A découvrir à l’Opéra Bastille encore les 13, 16, 19, 22 et 25 avril 2019 (retransmission en direct dans certains cinémas le 16 avril 2019). Illustrations : © Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

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NDLR : Le site de l’Opéra de Paris prend les mesures qui s’imposent : certaines scènes peuvent choquer la sensibilité des plus jeunes comme les spectateurs non avertis, est-il précisé sur la page de présentation et de réservation. Utile précaution. Après une production des Troyens dont le metteur en scène lui aussi scandaleux (Dmitri Tcherniakov) n’hésitait pas à réécrire l’histoire et les relations des personnages, contredisant et dénaturant Berlioz, voici une nouvelle production dont la violence et l’absence de poésie, certes légitimes eu égard au sujet et au style de Chostakovitch, malmène le confort ordinaire du spectateur bourgeois… CQFD.

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