lundi 14 octobre 2024

COMPTE-RENDU, critique, opéra. LYON, Opéra, le 27 mars 2019. TCHAIKOVSKI : L’Enchanteresse. Zholdak / D. Rustioni

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

COMPTE-RENDU, critique, opéra. LYON, Opéra, le 27 mars 2019. TCHAIKOVSKI : L’Enchanteresse. Zholdak / D. Rustioni. Jamais représenté en France, L’Enchanteresse est pourtant l’une des partitions les plus séduisantes de Tchaïkovski, composée entre Mazeppa et La dame de Pique. La direction électrisante de Daniele Rustioni et la mise en scène ingénieuse de Andriy Zholdak, servies par une distribution époustouflante ont magnifié la création française de cet opéra enchanteur.

On est d’abord ébloui par l’intelligence du dispositif scénique et la direction d’acteurs millimétrée. Sur scène, un montage vidéo représentant le moine Mamyrov nous introduit dans la narration du drame qui s’expose à travers un triple dispositif spatial : la reconstitution de l’intérieur d’une église, monumentale et impressionnante, une cabane typiquement russe, auberge tenue par l’Enchanteresse Nastassia, et sur la gauche une chambre bourgeoise où déambulent des convives interlopes. La luxuriance des décors est d’abord un atout idoine qui évoque avec bonheur l’âme et la culture russes. Une transposition moderne ou décalée eût été à tout le moins une faute de goût. Mettre en scène l’histoire tragique de cette Carmen russe (comparaison évoquée par le compositeur lui-même dans sa correspondance) offre une multitude d’interprétations, comme ce fut le cas encore récemment avec le chef-d’œuvre de Bizet.

La Carmen versus Tchaikovski
/ Théorème russe

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L’audace de la lecture de Zholdak souligne le charme vénéneux de la jeune veuve qui parvient, tel le héros du Théorème de Pasolini, à séduire tous les cœurs, du gouverneur, en passant par le prince Nikita et son fils le prince Youri, suscitant jalousies et trahisons, jusqu’à la mort tragique du fils du gouverneur. La vision du metteur en scène ukrainien semble réduire l’intrigue à la vision du prêtre qui, parfois par des moyens virtuels (le casque qu’il coiffe au début de l’opéra), dirige le déroulement de la diégèse augmentée d’un quatrième lieu, un salon blanc à Cour aux tonalités inquiétantes. Le propos global montre une évidente réactivation du concept de lutte des classes opposant la riche aristocratie à la vulgaire faune villageoise entre lesquelles apparaissent, en marge de l’intrigue, les expériences sexuelles d’un adolescent. On est ainsi pris entre une lecture objectivement virtuose et scéniquement efficace et un défaut d’émotions contredit par la musique d’une beauté souveraine et la qualité exceptionnelle des interprètes.

En premier lieu, le rôle-titre est magistralement défendu par l’enchanteresse Elena Guseva, au caractère bien trempé, tout en faisant preuve d’une fragilité émouvante lors de son grand air du 3e acte (« Je t’ai ouvert mon âme »), magnifié par une projection maîtrisée et un timbre rond et puissant. Le prince Youri bénéficie des talents d’acteur de Migran Agadzhanian, ténor à la fois solide et lumineux qui toujours fait merveille, y compris dans son admirable duo avec sa mère au second acte (« Je n’ai devant Dieu… »). La princesse Eupraxie est justement interprétée avec conviction et un naturel autoritaire confondant par la mezzo Ksenia Vyaznikova, sorte de Junon des Steppes au timbre de lave ; remarquable également sa suivante Nenila, campée par Mairam Sokolova. Son mari, le prince Nikita trouve une belle incarnation avec le baryton Evez Abdulla, qui concentre avec superbe toutes les tares du petit despote local, veule, intransigeant, violent, enragé (voir son air de dépit du 4e acte : « Les enfers se sont ouverts »). Quant à l’espèce de démiurge que représente Mamyrov, il est merveilleusement incarné par Piotr Micinski, inquiétant à souhait et à l’émission vocale impeccable. Tous les autres rôles secondaires mériteraient d’être cités (comme le vagabond Païssi de Vasily Esimov ou le sorcier Koudma de Sergey Kaydalov) et complètent magnifiquement une distribution sans faille.
Dans la fosse, Daniele Rustioni dirige avec force et précision l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra de Lyon (ces derniers n’interviennent qu’en coulisse) et rend justice à une partition luxuriante, à la durée quasi wagnérienne, qui fait enfin son entrée dans le répertoire français.

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COMPTE-RENDU, critique, opéra. LYON, Opéra, le 27 mars 2019. TCHAIKOVSKI : L’Enchanteresse. Evez Abdulla (Prince Nikita), Ksenia Vjaznikova (Princesse Eupraxie), Migran Agadzhanyan (Prince Youri), Piotr Micinski (Mamyrov), Mairam Sokolova (Nenila), Oleg Budaratskij (Ivan Jouran), Elena Guseva (Nastassia), Simon Mechlinski (Foka), Clémence Poussin (Polia), Daniel Kluge (Balakine), Roman Hoza (Potap), Christophe Poncet de Solages (Loukach), Evgeny Solodovnikov (Kitchiga), Vasily Efimov (Païssi), Sergey Kaydalov (Koudma), Tigran Guiragosyan (Invité), Andriy Zholdak (mise en scène, lumières et décors), Simon Machabeli (costumes), Étienne Guiol (Vidéo), Georges Banu (Conseiller dramaturgique), Christoph Heil (Chef des chœurs), Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon / Daniele Rustioni, direction / illustrations : © Stofleth

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