
Une saison d’ampleur et de nouveauté
En effet, il compte inviter des femmes chefs d’orchestre et des jeunes chefs mais aussi explorer et faire découvrir la musique contemporaine aux bordelais. De même, l’orchestre entrera en contact avec de nouveaux publics, sur place à l’Opéra et à l’Auditorium de Bordeaux mais aussi hors de ces lieux familiers ; dans son désir d’insertion et d’élargissement de l’expérience et de l’activité musicale, Paul Daniel propose des concerts gratuits, invitant toute l’échelle socio-économique à découvrir le bonheur de la musique classique et les qualités de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine.
La saison 2013-2014 débute avec un concert symphonique, mais aussi choral, tout à fait exemplaire. C’est une sorte d’avant-goût des ambitions de la saison remplie de temps forts et d’événements immanquables ! Certainement un pari gagné avec Paul Daniel ; les mois qui viennent nous le diront.
Au rendez-vous de ce soir, voici Purcell et Mahler, chiaroscuro et solennité pleins de maestria et de caractère. Le programme commence avec la Musique pour les funérailles de la Reine Mary de Henry Purcell, père de la musique anglaise. Purcell a composé une musique à la solennité rayonnante, aux effectifs pourtant réduits pour l’occasion. Une marche et une canzona purement instrumentales ainsi qu’une mise en musique d’un texte liturgique. Paul Daniel a décidé d’inclure également un extrait choral du compositeur anglais de la renaissance Thomas Morley. Dans cet extrait « Man is born », les voix masculines du choeur réduit enchantent par leur sombre dignité. Purcell s’accorde brillamment au style antique de Morley avec « You knowest, Lord, the secrets of our heart » mais injecte de sublimes harmonies tout à fait particulières. La marche et la canzona sont interprétés magistralement par les musiciens, nous remarquons surtout la canzona d’une beauté sévère et austère mais aussi d’une grande difficulté pour les cuivres. A ce préambule baroque, s’enchaîne directement le premier mouvement de la 2e symphonie de Gustav Mahler.
Résurrection de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Le premier mouvement est une sorte de marche funèbre (il s’agît à l’origine d’un poème symphonique) en forme de sonate modifiée. Dès le début, l’orchestre joue avec une sûreté étonnante. Le sens de l’épreuve existentielle si typique à Mahler est présenté de façon impeccable sous la direction de Paul Daniel. Les permanentes transitions entres les ténèbres post-wagnériennes et un lyrisme bucolique et quelque peu pompier sont plus subtilement exprimés encore. Les vents sont puissants ; les bois, d’une teinte pastorale et les cuivres époustouflants. Nous retenons notamment les excellentes flûtes et trompettes.
Le deuxième mouvement est un andante moderato de grande beauté et limpidité. Les cuivres apportent un côté sombre et sensuel pourtant. Les cordes jouant en pizzicato accompagnées du piccolo instaurent une ambiance presque enfantine, une certaine innocence mais non dénuée d’humour. Le troisième mouvement en forme de scherzo n’est pas sans rappeler le Mendelssohn de l’ouverture « Les Hébrides », notamment par les cordes et la clarinette. Un certain aspect folklorique juif se mélange ici avec le pathos obligatoire et poussé si cher aux post-romantiques. L’orchestre passe facilement du massif brouhaha brucknérien à l’intimité de la chambre pour revenir à l’intensité bruyante avec un fortissimo peut-être trop fort vers la fin du mouvement.
Ensuite nous trouvons la contralto française Nathalie Stutzmann au quatrième mouvement « Urlicht ». Il s’agît originellement d’un lied, et si le mouvement est court il est davantage saisissant. Surtout grâce à la voix puissante et idiosyncratique de Stutzmann ainsi qu’à la prestation du premier violon. Ce court mouvement prépare au cinquième et dernier mouvement choral (qui est aussi le plus long, plus de 30 minutes!) où participe également la soprano soliste Henriette Bonde-Hansen. L’inspiration formelle beethovénienne est évidente même si le langage est complètement différent. La couleur orchestrale est exploitée à l’extrême et de façon spectaculaire, le son est distinct mais la cohésion n’est jamais compromise.
Dans une remarquable cohérence, jamais l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine n’a semblé jouer avec autant de suprématie, de virtuosité. Après un début sobre arrive le triomphe brillant et glorieux, la résurrection ! (le surnom programmatique de la symphonie est précisément « Résurrection »). Une marche pompeuse du mouvement a, dans la lecture de Paul Daniel, une sonorité presque Elgarienne, ce qui rehausse le charme de la partition. La fanfare revient plus tard, et si Mahler a conçu tout un programme métaphysique pour la symphonie, cette marche évoque plus un héroïsme de pacotille qu’une expérience religieuse. Le sentiment mystique arrive avec les choeurs de l’Opéra National de Bordeaux et de l’Orfeon Pamplonés, au début très solennels mais gagnant en intensité avec le solo pour soprano à la fois sentimental et lumineux. A partir de ce moment, les frissons nous submergent en permanence. Stutzmann se joint à la soprano ; puis un violon élégiaque sert de prélude aux choeurs revenants. Nous sommes au sommet de l’expressivité et du drame dans le duo des chanteuses auquel s’ajoutent les choeurs en crescendo. L’effet est d’une incroyable et inclassable beauté, les frissons se complètent de larmes inéluctables devant tant de talent et de majesté. L’extase de la fin touche les cœurs de l’auditoire et des interprètes qui sont aussi en larmes.
Après le concert nous sommes de surcroît enthousiasmés par la riche programmation de la saison 2013-2014 où l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine devrait briller. L’excellente direction du chef Paul Daniel, mélangeant subtilité et vivacité, est inspiratrice et alléchante.
Les prochains concerts sont déjà fortement attendus ! Le 9 et 11 octobre, il revient à l’Auditorium cette fois-ci avec la soprano Heidi Melton pour un concert dédié à Wagner. Des extraits de Tannhäuser, Tristan et Isolde et Le Crépuscule des dieux seront au rendez-vous. Nous en sommes impatients et invitons tous nos lecteurs à découvrir et redécouvrir la force et les couleurs de l’Orchestre bordelais.
Les 28 et 29 novembre suivants, le pianiste Bertrand Chamayou, artiste associé de la saison, sera aussi à l’Auditorium pour un concert prometteur associant des œuvres de Richard Strauss (dont le Burlesque pour piano et orchestre) à la 9e symphonie de Dvorak.
Les 22 et 23 janvier, Paul Daniel aborde avec le violoniste franco-Serbe Nemanja Radulovic Mendelssohn et Haydn ainsi que le compositeur anglais Eric Coates, rarement entendu en France. Des événements à ne surtout pas rater, vous pouvez consulter le programme de la saison sur le site de l’Opéra National de Bordeaux. Bordeaux nouvelle capitale symphonique : nous sommes prêts à relever le pari ! Rendez-vous dans quelques semaines pour un premier bilan critique.
Bordeaux. Auditorium de Bordeaux, le 26 septembre 2013. Nathalie Stutzmann, contralto. Henriette Bonde-Hansen, soprano. Choeur de l’Opéra National de Bordeaux, Choeur de l’Orfeon Pamplonés. Orchestre National Bordeaux Aquitaine. Paul Daniel, direction.