LE SONGE (OU LE CAUCHEMAR) D’UNE NUIT D’ETE… PrĂ©sentĂ© comme semi-opĂ©ra, The Fairy Queen est, plus prĂ©cisĂ©ment ce que la tradition anglaise, depuis le XVIe siĂšcle, appelait masque ou mask, une suite de divertissements scĂ©niques musicaux, qui deviendront des intermĂšdes Ă des piĂšces de théùtre parlĂ© au cours du XVIIe siĂšcle, et lâon connaĂźt la qualitĂ© de ceux de Purcell. Ainsi, la piĂšce fameuse de Shakespeare A Midsummer Nigthâs Dream, âLe Songe d’une nuit d’Ă©tĂ©â, fut dotĂ©e dâun livret (Elkanah Settle ?) en rĂ©sonance mais sans correspondance prĂ©cise avec lâintrigue de la piĂšce principale, ce qui eĂ»t Ă©tĂ© une redondance avec le texte principal, quâil mit en musique. La premiĂšre eut lieu au Dorset Garden Ă Londres, en avril 1692. La partition, perdue deux fois au XVIIIe siĂšcle (sans doute non imprimĂ©e) fut redĂ©couverte en 1901.

RĂALISATION ET INTERPRĂTATION
Depuis la TĂ©tralogie de ChĂ©reau Ă Bayreuth en 1976, dĂ©jĂ prĂ©cĂ©dĂ© par Ponnelle, depuis donc un demi-siĂšcle, nous sommes habituĂ©s âou rĂ©signĂ©sâ au rĂšgne des metteurs en scĂšne qui trouvent sans doute indigne de leur talent de sâabaisser Ă respecter la volontĂ© historique des auteurs et sâadonnent Ă la « modernisation » arbitraire des Ćuvres avec ce dĂ©sormais acadĂ©misme du prĂ©tendu non acadĂ©misme dans une naĂŻve surenchĂšre de lâoriginalitĂ© de leur « relecture », devenue un lieu commun des plus communs sur tous les théùtres. Certes, on peut difficilement dater les fantaisies oniriques de Shakespeare et Purcell, A Midsummer Nightâs Dream (entre 1592 et 1595) et The Fairy Queen (1692)qui en Ă©tait des intermĂšdes : leur monde dâelfes et de lutins sans Ăąge laisse de la latitude temporelle au metteur en scĂšne. Tout en concĂ©dant la libertĂ© crĂ©atrice inaliĂ©nable de lâinterprĂšte quâest le metteur en scĂšne, le bond, âou le gouffreâ que lui fait franchir la par ailleurs talentueuse Caroline Mutel est sidĂ©ral, sidĂ©rant, en situant The Fairy Queen, cette âReine des fĂ©esâ, durant la Grande Guerre, mĂȘme couronnĂ©e par lâArmistice Ă drapeau victorieux au vent ou fraternisation du soldat Ă casque Ă pointe couronnĂ©e dâune aigrette avec le Français, casque du coquettement parĂ© dâun plumet tricolore, trinquant allĂšgrement. En sorte que, Ă deux ans des commĂ©morations du centiĂšme centenaire de la Grande Guerre, ou en plein anniversaire de la bataille, dix mois, de Verdun commencĂ©e en fĂ©vrier 1916, dans ce belliqueux contexte, le texte humoristique de la piĂšce ne prĂȘte guĂšre Ă rire, ni mĂȘme Ă un lourdingue Sourire dâune nuit dâĂ©tĂ© de Bergman et le Songe et sa fĂ©erique musique, dans un dĂ©cor de ruines (Denis Fruchaud et Analyvia Lagarde), des costumes dâĂ©poque (Pascale BarrĂ©) oĂč ne manquent ni lâinfirmiĂšre des urgences inutiles ni le prĂȘtre, pour lâextrĂȘme-onction sans doute, sâengouffrent ici davantage dans le cauchemar de la terrible boucherie de 14/18.
Ainsi, Le poilu, uniforme couleur horizon, arrivant par la salle, fusil Ă lâĂ©paule (sans pacifique fleur), un fanal Ă la main (souvenir de la lune de Pyrame et ThisbĂ© de la piĂšce originale ?), jouant ensuite, livre Ă la main, le poĂšte ivre, dĂ©samorce par lâexplicite connotation guerriĂšre du personnage, non son arme mais la plaisante chanson bachique bĂ©gayĂ©e qui est supposĂ©e faire rire malgrĂ© toute la beautĂ© du timbre sombre de FrĂ©dĂ©ric Caton (PoĂšte ivre / Sommeil / Hiver / Hymen). On a lâimpression que tout est construit, passerelle un peu surĂ©levĂ©e pour le monde des elfes, qui descendent ou condescendent vers les humains, que tout converge sur le lamento magnifique « O, let me weepâŠÂ », chantĂ© de façon dĂ©chirante par la mezzo Sarah Jouffroy (DeuxiĂšme fĂ©e / Le MystĂšre) sur le casque du soldat disparu. Mais la dĂ©ploration sur la perte dâun ĂȘtre cher est intemporelle et le drame individuel se relativise et sâamoindrit dans la tragĂ©die collective ou les pertes se comptaient par millions.
Dâautre part, le livret de Purcell est trĂšs loin du texte de Shakespeare, et la distance que prend Mutel de celui-ci nous en Ă©loigne tant âdâautant que, pour compliquer lâaffaire, presque tous les chanteurs interprĂštent plusieurs personnagesâ il faudrait une clĂ© des songes pour dĂ©crypter qui est qui et ce qui se passe sur scĂšne, ce qui devient, au critique un « cauchemar plein de choses inconnues » comme disait Baudelaire de Goya, et la nĂ©cessitĂ© laborieuse de recourir aux photos des « bios » du programme pour identifier les interprĂštes.
Occupant un vaste espace du plateau, lâorchestre des Nouveaux CaractĂšres est sur scĂšne Ă jardin, trompette et percussions Ă cour, tournant court forcĂ©ment les dĂ©placements des acteurs dans un espace rĂ©trĂ©ci, ouvert sur le fond, avec inĂ©vitable perte sonore pour les chanteurs selon leur place, la musique, et encore plus les voix, que le veuillent ou non les mises en scĂšnes « modernes », Ă©tant toujours fatalement spatialisĂ©e. La fraĂźcheur du joli soprano de Virginie Pochon (premiĂšre fĂ©e) en fait les frais pour sa projection ainsi que le contre-tĂ©nor Christophe Baska (Le Secret / ĂtĂ©) trop distant. DerriĂšre un voile nocturne en fond de scĂšne, plus puissante, Caroline Mutel (La Nuit / PremiĂšre femme) dĂ©ploie le charme dâun soprano rond et voluptueux, dĂ©roulant ses belles et langoureuses vocalises. Mieux servi en ses dĂ©placements vers lâavant-scĂšne, le tĂ©nor Thomas Michael Allen, dâabord en insolite soutane (Automne / Un Chinois), sâimpose agrĂ©ablement. La soprano dramatique Hjördis ThĂ©bault, campe une Seconde femme qui mĂ©rite dâĂȘtre premiĂšre par la force et la souplesse dâun timbre sĂ©duisant, fruitĂ©, et dâune virtuositĂ© qui dĂ©fie la vertigineuse dentelle de vocalises de sa partie.
Corydon est le nom traditionnel des bergers de lâArcadie poĂ©tique. Est-ce alors un souvenir malicieux du premier vers des Bucoliques de Virgile : « pastor Corydon ardebat Alexim », âle berger Corydon dĂ©sirait Alexisâ, qui nous vaut la seule scĂšne vraiment plaisante du spectacle, ce mariage gay qui clĂŽt joyeusement la sĂ©rie matrimoniale entre un lâhilarant tĂ©nor Julien Picard (Mopsa) et un fort en gueule et voix magnifique Ronan NĂ©dĂ©lec (Corydon)? SingularisĂ© par une seule apparition finale en Phoebus affublĂ© dâun pectoral dorĂ© trĂšs aztĂšque, le baryton Guillaume Andrieux est rayonnant en souriant astre du jour.
Si lâon discute cette mise en scĂšne, sans fĂ©erie ni surtout la folie dont se rĂ©clame la metteur en scĂšne dans sa Note dâintention, dâune partition et dâun texte qui nous promĂšnent dans les lieux rhĂ©toriques du baroque lyrique fixĂ©s par Cavalli et adoptĂ©s dans toute lâEurope, La Nuit, le Sommeil, le Secret, le MystĂšre, les Saisons, il reste, heureusement, la merveille, vraiment fĂ©erique, impalpable et si concrĂšte de cette musique de Purcell qui se cite, comme lâamorce de la gamme descendante du lamento de Didon, tel jeu sur des mots privilĂ©giĂ©s. à la tĂȘte des Nouveaux CaractĂšres, SĂ©bastien d’HĂ©rin dirige cet ensemble baroque, certes apparemment moins nourri que celui dont bĂ©nĂ©ficia Purcell pour la crĂ©ation, de maniĂšre Ă la fois souple et prĂ©cise, assez nourrie cependant, rĂ©pondant bien Ă la chair des voix des interprĂštes qui, malgrĂ© les handicaps soulignĂ©s de la scĂšne, ne sont pas Ă©thĂ©rĂ©es ou dĂ©colorĂ©es par une conception moderne bien erronĂ©e de la rĂ©alitĂ© de la vocalitĂ© baroque attestĂ©e en documents. Longue suite de danses, dont une somptueuse chaconne finale trĂšs dĂ©veloppĂ©e presque symphoniquement sertie du joyaux de songs, peut-ĂȘtre une simple version concert eĂ»t-elle suffi Ă notre bonheur.
MĂȘme si certaines images, on ne le niera pas, sont belles, dont le dernier groupe de mondains festifs, avec ces lumiĂšres ombreuses de Fabrice Guilbert, entre veille et rĂȘve, qui jouent avec art Ă paraĂźtre un Ă©clairage baroque « naturel », avec rampe, cette rĂȘveuse Nuit en transparence, la lumiĂšre dorĂ©e baignant lâorchestre, caressant les instruments. Mais, rapportĂ© au texte, le traitement scĂ©nique guerrier, sans ĂȘtre pour autant effrayant est effarant plus que fĂ©erique.
Compte rendu, opĂ©ra. Grand Avignon, OpĂ©ra. Le 10 fĂ©vrier 2016. Purcell : The Fairy Queen. Pochon, Mutel, Caton… Les Nouveaux CaractĂšres. D’HĂ©rin, direction.
Distribution :
PremiÚre fée : Virginie Pochon.
La Nuit / PremiĂšre femme : Caroline Mutel.
Seconde femme : Hjördis Thébault.
DeuxiÚme fée / Le MystÚre : Sarah Jouffroy.
Le Secret / ĂtĂ© : Christophe Baska.
Automne / Un Chinois : Thomas Michael Allen.
Mopsa : Julien Picard.
PoÚte ivre / Sommeil / Hiver / Hymen : Frédéric Caton.
Corydon : Ronan Nédélec.
Phoebus : Guillaume Andrieux.
Orchestre des Nouveaux CaractĂšres, direction musicale : SĂ©bastien d’HĂ©rin.
Mise en scÚne : Caroline Mutel. Décors : Denis Fruchaud et Analyvia Lagarde. Costumes : Pascale Barré.
LumiĂšres : Fabrice Guilbert.