Composée en 1927, créé à l’Opéra de paris en 1928, Boléro est la partition la plus célèbre au monde ; son auteur Maurice Ravel (1875-1937) se consacre tout entier à la conception d’une pièce singulière, au statut exceptionnel. Soit 16 mn de transe saisissante où tout l’orchestre exulte pour une chorégraphie taillée pour sa commanditaire, la danseuse Ida Rubinstein.
C’est aussi une récente affaire actuellement instruite, dont le jugement attendu en juin 2024, devrait d’ailleurs décidé si la partition est autant l’œuvre de Ravel que du décorateur pour le ballet, Alexandre Benois. LIRE notre dépêche (JURIDIQUE. BOLÉRO : Maurice Ravel en est-il vraiment l’auteur unique ? : https://www.classiquenews.com/juridique-bolero-maurice-ravel-en-est-il-vraiment-lauteur-unique/ ).
S’inscrivant dans le Paris de l’Entre-deux-guerres, le film d’Anne Fontaine (2023) évoque surtout la genèse et la création de Boléro, d’où son titre. Ravel peine à l’écrire. Le film évoque les défis qui se présentent au compositeur ; il tente d’interroger le principe même de création, comme la place de la vie réelle dans le process de composition. De quelle façon Ravel trouve-t-il les deux mélodies qui s’enlacent ? Comment invente-t-il cette mélodie entêtante jusqu’à l’obsession, comment se précise le principe de sa répétition (jusqu’à 17 fois jusqu’à la transe finale) ? La tentative n’est pas simple ; elel est même semé d’embûches car Maurice Ravel, génie indiscutable est aussi secret que sa musique outrageusement expressive, voire d’une sensualité flamboyante (comme le démontre Boléro)…
En salle le 6 mars 2024. Avec dans le rôle de Maurice Ravel, Raphaël Personnaz (La Princesse de Montpensier, Quai d’Orsay) ;
Doria Tillier (Misia Sert, pianiste et mécène, muse de Ravel); Jeanne Balibar (Ida Rubinstein)…
Teaser vidéo (sous-titre anglais)
Synopsis… En 1928, alors que Paris vit au rythme des années folles, la danseuse Ida Rubinstein commande à Maurice Ravel la musique de son prochain ballet.Tétanisé et en panne d’inspiration, le compositeur feuillette les pages de sa vie – les échecs de ses débuts, la fracture de la Grande Guerre, l’amour impossible qu’il éprouve pour sa muse Misia Sert… Ravel va alors plonger au plus profond de lui-même pour créer son œuvre universelle, le Bolero.
Synopsis english
Paris, the Roaring Twenties. Choreographer Ida Rubinstein chooses Maurice Ravel to compose the music for her next ballet. She wants something bold, something sensual.
Well known and established, Ravel finds himself unable to write anything. Reliving his memories, facing his old loves and failures, the composer will give birth to his greatest success ever: the Bolero.
Directed by : Anne Fontaine – durée, duration : 2h.
NOTRE AVIS par Lucas IROM.
Eclairer le plus mystérieux des génies français n’est d’emblée pas acquis. A contrario du biopic récent dédié à Leonard Bernstein, assez lisse et prévisible, Anne Fontaine préfère une lecture plus sensible et personnelle, une évocation moins narrative et davantage intime et artistique. Entre documentaire et fiction, le film Boléro trouve son propre ton, et dévoile la personnalité de son personnage central, Maurice Ravel, génial auteur de Boléro (entre autres). A la fois dandy élégant mais âme profonde, Ravel est brossé ici en homme sensible, secret, pourtant tendre… constamment habité par l’idée : Raphaël Personnaz réussit une incarnation cohérente et profonde dans ce sens ; donnant en chef et en pianiste, l’illusion d’être un musicien né.
Musique sensuelle, mécanique lascive,
galerie de femmes inspirantes…
Sa musique d’une sensualité unique, qui flamboie de mille nuances voluptueuse (au point de renouveler l’art de la couleur orchestrale et du timbre à l’égal de Rameau et de Berlioz) est ainsi approchée au plus près de la composition, à travers l’évocation de la genèse du ballet Boléro. Une constellation de rencontres et de présences se précise ainsi : la commanditaire et la danseuse désignée pour créer et danser la chorégraphie : Ida Rubinstein (Jeanne Balibar, sophistiquée, étrange jusque dans ses ondulations de serpent fatal et provoquant). Mais aussi toute une galerie de femmes inspirantes : la muse Misia Sert (Doria Tiller, en sirène évanescente et troublante) ; la gouvernante attentionnée (Sophie Guillemin) ; sa mère (Anne Alvaro) comme figure centrale et réconfortante… Passent aussi Emmanuelle Devos en Marguerite Long, l’amie pianiste un rien insupportable pa son exigence ; et même Alexandre Thauraud, en critique parisien (Pierre Lalo) mordant et caricatural, sous un masque de fausse tendresse…
Raison et passion, transe et construction,
au cœur du mystère Ravel…
Le film exprime cette force sensuelle qui fait de Ravel, en dépit des apparences, et du contrôle absolu que sa personne fait paraître, un amoureux absolu. Si le compositeur résiste et rechigne à composer le morceau, le résultat dépasse toute attente : il réussit à fusionner mécanique lascive et orchestration sensuelle, propre à créer en 1928 sur la scène de l’Opéra de Paris, le ballet que l’on connaît (plus souvent joué comme une pièce de concert – et en l’occurrence, un final délirant, poétique, déconcertant). L’orientalisme et l’Espagne s’y entrelacent dans une fusion graduellement explosive. No pain no gain : pas de souffrance sans jubilation. Pas de Boléro sans défis. Anne Fontaine peint Ravel au travail, perfectionniste angoissé ; nourri d’inquiétudes et d’absences…
Il reste peu de témoignages de la création de 1928 à Paris, avec les décors de Benois. Du reste, la partition ressort actuellement au coeur d’une affaire juridique qui déterminera précisément si Ravel est bien le seul auteur de Boléro et si l’oeuvre appartient toujours au domaine public (!) – on se souvient que la chorégraphie de Maurice Béjart (1961) touchait au plus juste, le secret de Ravel entre mystère et transe, furieuse volupté et mécanique suisse, entre couleurs flamboyantes et construction savante… Point d’équilibre unique dans l’histoire de la musique (et de la danse) entre Apollon et Dyonisos, Raison et Passion. Le film d’Anne Fontaine, pas biopc pour un sou, plutôt subtil questionnement sur l’art de composer (et de trouver) pourrait comme Béjart, avoir su trouver réponse au mystère Ravel.