vendredi 19 avril 2024

Christophe Fiat: Cosima, femme électriqueEditions Philippe Rey

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Aux couleurs d’une couverture acidulée, le texte éclaire le destin d’une femme  » électrique « , comète atypique au siècle du romantisme et du puritanisme triomphants.
L’auteur en admiration pour Cosima, serre de près l’héroïne de son drame… musical et historique. Cosima se raconte ainsi par le truchement de la narration à la mode du je… La fille de Franz Liszt, de Marie d’Agoult, épouse du chef d’orchestre wagnérien Hans Von Bulow est d’abord la compagne scandaleuse de Richard Wagner (à partir de 1864 : l’année triomphante pour le compositeur qui rencontre simultanément son protecteur royal, tel un chevalier providentiel : Louis II de Bavière). Puis elle s’installe, véritable suicide social avec Richard (1868), enfin l’épouse en 1870 après avoir divorcé de Hans…
Le livre ouvre sur un mariage malheureux, non pas le sien mais celui de Mina Wagner, épouse de Richard qui en Suisse fait une scène hystérique à son époux après avoir découvert ses lettres enivrées à l’adresse de la nouvelle femme de son cœur, Matilde Wesendonck…
Cosima en réalité observe celui qui sera son égal terrestre et son dieu depuis longtemps. Elle espérait depuis toujours lui appartenir, être à ses côtés pour réaliser le grand œuvre de leur vie: fonder un foyer où leurs enfants porteraient le noms des héros à venir (Isolde, Eva, Siegfried…), mais aussi Bayreuth, le premier festival lyrique du Ring… Du reste, par citations ou courtes évocations, l’oeuvre musicale de Richard parcourt le livre : avancée des Maîtres Chanteurs, Une capitulation (contre la France décadente et haïe, en guerre contre la Prusse et de facto la Bavière), Lohengrin déjà reconnu, applaudi, célébré, surtout les volets de la Tétralogie…


Arrogance d’une femme libre

Entière, passionnée, d’une indéfectible loyauté au culte de son Richard aimé, chéri comme nul autre, Cosima se dévoile ici sans fard avec un acharnement au succès (celui du théâtre de Richard… la musique de l’avenir), un déterminisme propice à la conquête, jaloux de toute gloire étrangère, de toute faveur qui ne serait pas sienne, qui captive autant qu’il agace.
Elle porte le nom du lac (Côme) où elle est née. Celle qui sera après la mort de son époux en 1883, la sibylle despotique de Bayreuth, s’imposant sur la colline verte telle le dernier rempart contre la barbarie en Europe, défend bec et ongle les intérêts de son clan, comme une louve âpre et difficile, hautaine autant qu’arrogante, d’une suprême stature léguée par la renommée paternelle et la dignité de son veuvage.

La narration est vivante et rythmée avec un sens évident du drame prosodique : Cosima se réinvente ici sous le prétexte d’un journal intime écrit et rédigé comme une reconstruction personnelle. La femme se dévoile, mère attentionnée, épouse plus que loyale, toujours entière, amoureuse surtout, consciente et exclusive qui cherche non à pardonner mais à comprendre, ayant une clairvoyance sur la nature des hommes comme peu à son époque… Sa relation avec sa mère donne peut-être la clé d’un être moins solide que marqué par un fort sentiment de revanche: Marie d’Agoult elle aussi s’est édifiée en légende littéraire moins en mère aimante et dédiée. On reste moins convaincus par l’évocation en fin de texte de Cosima restituée par l’image indirecte, à travers le film Le Crépuscule des Dieux de Visconti où la louve de Bayreuth paraît plus en négociatrice, garde malade, infirmière, femme d’argent et d’influence que comme amoureuse désintéressée telle une pure muse romantique… ce qu’elle n’était pas, il est vrai.

La femme émancipée, libre, autoritaire séduit autant qu’elle dérange : son électricité compense ses détestations forcenées en particulier antisémites… signe des temps qui annoncent des heures honteuses pour l’Allemagne. Après sa mort, tout un chapitre complémentaire, post mortem, évoque
Bayreuth à l’heure nazi quand y règne Adolf Wolfe en nouveau maître
bayreuthien… L’auteur n’oublie pas non plus l’odieuse et détestable  »
Winnie « , la trace du fils Siegfried (qui meurt deux mois après sa
mère Cosima) et celle de sa fille, comme Toscanini, anti hitlérienne,
Fredelind qui pourtant persona grata après 1945, perdra la direction de
Bayreuth au profit de ses frères Wolfgang et Wieland… Superbe
immersion dans le clan Wagner, le portrait mérite le meilleur accueil tant au sein de l’année Wagner 2013, riche en parutions diverses, il apporte un autre regard sur Wagner, depuis la place qu’a tenu auprès de lui, continûment et patiemment et de façon exclusive, Cosima Wagner née Liszt. A défaut d’être compositrice, la fille du plus grand pianiste de tous les temps, aura partagé l’intimité de deux montres romantiques parmi les plus essentiels de l’histoire de la musique européenne.

Christophe Fiat : Cosima, femme électrique (Philippe Rey éditeur). Date de parution : 4 avril 2013. ISBN : 978-2-84876-294-4. 14,5 x 22 cm. 176 pages. 16 €

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